Le droit divin selon Monseigneur de SÉGUR (1820-1881)
On entend beaucoup de contre-sens au sujet de l’expression monarchie de droit divin, Mgr de SÉGUR précise fort heureusement cette notion finalement très naturelle. Il stigmatise en particulier cette interprétation erronée du droit divin qui consiste à attendre que Dieu en personne (ou un de Ses anges) vienne désigner le roi.
Si la conception de la monarchie absolue du grand prélat légitimiste nous parait quelque peu influencée par l’école libérale mennaisienne, en revanche le texte suivant définit parfaitement ce qu’il faut entendre par monarchie de droit divin.
Ce que c’est que le droit divin dont on se moque avec tant de légèreté.
Il n’y a que l’ignorance qui s’en moque. « Le droit divin », quand on sait ce que c’est, est la chose du monde la plus simple et la plus vénérable.
Ainsi que le mot l’indique, le « droit divin » c’est le droit de Dieu.
Que Dieu, souverain Maître de toutes choses, ait le droit de diriger les sociétés et les peuples, cela est plus clair que le jour. Dieu n’est-il pas le Roi suprême de tous les rois et de tous les peuples, le Seigneur souverain et absolu de toutes les sociétés ? Son droit est au-dessus de tous les droits ; et tous les droits légitimes viennent de lui, comme toutes les gouttes d’eau d’un ruisseau viennent de la source. Tout droit véritable est donc un droit divin, une communication du droit de Dieu.En matière de souveraineté, cette communication, pour être réelle, n’a nullement besoin d’être surnaturelle ni miraculeuse : il n’est pas nécessaire que le bon Dieu apparaisse en personne ou envoie un Ange pour dire à un peuple : « Voici le Souverain que je te donne ; voici la race royale qui te gouvernera. » Non, ce n’est pas ainsi que Dieu mène les sociétés et choisit les dépositaires de ses droits.
Pour communiquer ses droits souverains sur tel ou tel peuple, le bon Dieu se sert de faits humains, parfaitement suffisants pour établir le droit divin : la naissance, par exemple, et le droit de succession ; ou bien encore une élection régulière. Le droit à la couronne est, en effet, un véritable droit de propriété, qui s’acquiert comme toutes les propriétés : par naissance, par héritage, par conquête, par donation, enfin par prescription. La prescription a toujours la vertu de légitimer le titre primordial lorsqu’il est vicieux, de le confirmer lorsqu’il est légitime.Oui, la couronne — je ne dis pas le royaume, mais la couronne, c’est-à-dire le droit de commander et de régner — est une propriété ; une propriété que nul n’a le droit de ravir à celui qui la possède en vertu d’un titre légitime, c’est-à-dire conforme à la loi de Dieu et aux traditions du pays. Violer cette propriété royale, c’est voler ; et le vol est interdit par les lois divines et humaines.
En fait de souveraineté comme en fait de propriété, le droit humain est sanctionné par le droit divin, s’appuie sur lui, devient une seule et même chose avec lui : de telle sorte qu’il est à la fois humain et divin.
Remarquons-le d’ailleurs : le droit divin du Roi légitime n’est pas, comme on se l’imagine, un fait isolé dans la société. La société repose sur une foule de faits humains donnant lieu au droit divin. C’est de droit divin que je possède ma maison, mon champ, et tous les fruits de mon travail ; c’est de droit divin que je possède ce dont je suis devenu le propriétaire légitime, à la suite et par l’effet de faits humains, de conventions purement humaines.
Il n’en est pas autrement du droit du Souverain légitime à sa couronne. Bien que ce droit résulte de faits humains, comme nous le disions tout à l’heure, il n’en est pas moins divin ; et dès lors on peut et on doit dire que c’est de droit divin qu’il possède sa couronne.
Or, il n’y a pas de droit contre le droit. Contre le droit à la fois humain et divin de la souveraineté légitime, il n’y a pas plus de droit qu’il n’y en a contre le droit à la fois humain et divin en vertu duquel tout propriétaire légitime possède ce qu’il possède. — De grâce, méditons bien ces choses. Elles sont, je le sais, un peu abstraites ; elles choquent les idées courantes, vulgarisées par la Révolution ; mais elles sont vraies ; et aujourd’hui plus que jamais, il est indispensable de le bien comprendre.
En résumé, pour un Souverain quelconque, régner de « droit divin », c’est tout simplement régner légitimement, en vertu de droits légitimes ; c’est être le représentant légitime de Dieu pour le gouvernement d’une société, d’un peuple. De là cette formule célèbre, qui fait tant crier les impies et les ignorants : régner par la grâce de Dieu.
Donc, quand nous disons qu’Henri V est de « droit divin » le Roi de France, nous voulons dire que, d’après la loi de Dieu, et d’après les plus vénérables traditions de la France, le droit de ce Prince à la couronne repose sur des titres légitimes, inattaquables, et sur une prescription huit fois séculaire, qu’il est le dépositaire de l’autorité souveraine de Dieu, lequel est le Maître suprême du peuple français comme de tous les peuples ; qu’il est ainsi le Roi légitime à qui la France doit obéir, si elle veut faire la volonté de Dieu, si elle ne veut point se révolter contre le droit de Dieu.
Voilà ce que c’est que le « droit divin ».
Est-ce là, dites-moi, chose si étrange ? Est-ce là surtout quelque chose d’absurde, de ridicule, d’intolérable comme l’affirment depuis cent ans nos petits bavards démocrates de la libre pensée et du journalisme ?
Du moment que l’on croit en Dieu et qu’on respecte le droit, le « droit divin » n’est-il pas au contraire une doctrine parfaitement raisonnable, la conséquence évidente des principes les plus certains ?
Mgr de
Ségur , Vive le roi ! in Œuvres, Tolra, Paris, 1877, 2 série, tome VI, chap. III.
MabBlavet
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