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La Laïcité : religion de la République

un aperçu de ce qui se prépare

lundi 10 novembre 2008, par Valancony

Avoir chassé Dieu de l’espace public pour le reléguer dans la sphère privée ne suffit pas à la République et aux Loges ; les pressions sont fortes pour substituer au culte divin une véritable religion républicaine ritualisée avec l’homme au centre : la laïcité.

Introduction

Pour de multiples raisons dont certaines sont liées à la présence en France d’une importante minorité musulmane [1], le problème de la laïcité se retrouve sous les feux de l’actualité. Cependant, cette notion reste assez confuse dans l’esprit de beaucoup. D’autant que derrière les mots se cachent des intentions et des arrière-pensées aussi précises que dissimulées. C’est pourquoi nous porterons d’abord notre attention sur le sens du terme laïcité et de sa dérive idéologique : le laïcisme.

Notre cheminement nous amènera à dire un mot de la distinction traditionnelle et essentielle entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Ce dernier concept est parfois qualifié par le magistère ecclésiastique de “saine laïcité” [2]. Nous pourrons alors clore cette première partie de l’exposé par quelques considérations historiques et idéologiques de ladite laïcité.

L’autre versant de notre réflexion portera sur ce que pourrait désigner l’expression : la laïcité à la française, caractéristique exclusive de notre exception culturelle. Si elle existe parfois ailleurs, elle n’y a pas la même audience ni la même influence sur la vie politique et sociale du pays considéré.

L’évolution de la pensée laïque : de la laïcité au laïcisme

Le terme laïc, né au Moyen-âge, sert à distinguer l’homme ordinaire du clerc. Cette ancienneté du mot n’est pas celle de la laïcité et du laïcisme qui ne datent que du XIXe siècle (1870 et 1848). Ce sont tous deux des vocables de crise.

 La laïcité veut exclure les églises et communautés spirituelles de l’exercice de tout pouvoir civil, en particulier de l’enseignement alors que ...
 le laïcisme s’affirme comme une doctrine cherchant à limiter, voire à supprimer, l’influence de la religion sur la vie publique.

Il n’y a pas, entre ces deux termes, une différence de nature mais seulement de degré. Disons que le laïcisme manifeste la laïcité pleinement exprimée, une laïcité de combat.

Il faut noter ici la place éminente prise par la question scolaire dans cet affrontement. C’est là la marque évidente de l’idéologie. L’esprit laïc veut s’assurer la maîtrise de l’enseignement afin de mieux dominer les esprits génération après génération. Or, c’était là une mission toujours revendiquée, à juste titre, par l’Église. C’est d’ailleurs pourquoi la querelle scolaire a, par le passé, touché aux limites de la guerre civile.

Le magistère catholique a, par souci d’apaisement, cherché une définition acceptable de la laïcité. Faisant preuve de beaucoup de bonne volonté il a voulu donner un sens à l’expression : “saine laïcité”. Que faut-il entendre par-là ? Il s’agit en fait d’un tout autre problème réaffirmant la distinction multiséculaire distinguant entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel : doctrine inspirée de la pensée
évangélique « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » En vertu de cette sentence, la société civile, en toute autonomie, s’occupe de l’organisation et du fonctionnement de la Cité.

Le Schéma préparatoire au Concile Vatican II, rejeté par les novateurs progressistes, distingue très nettement entre l’Église qui a pour but « par sa doctrine, ses sacrements, sa prière et ses lois » de conduire les fidèles « à leur fin dernière » et la société civile dont la mission est de « permettre aux citoyens de mener ici-bas une vie calme et paisible ».

Cependant, si la vocation de l’une et de l’autre est distincte, ces dernières doivent œuvrer en « parfaite harmonie » puisqu’elles « exercent leurs pouvoirs sur les mêmes personnes et souvent sur les mêmes objets : mariage, éducation des enfants... » Jamais, « la fin de la société civile ne doit être recherchée en excluant » la fin de toute vie : « le salut éternel ». Les lois de Dieu passent avant les lois humaines et chacun doit admettre cette hiérarchie. Nous savons, par expérience, que ce qui est légal peut parfois n’être pas légitime : avortement, divorce, euthanasie...

Tout ce qui précède suppose une collaboration entre l’Église et l’État. De plus, le pouvoir civil se doit de favoriser l’influence des liens spirituels permettant de la sorte aux citoyens de mener religieusement leur vie humaine. Cela interdit de mettre sur le même pied vérité et erreur.

De plus, le pouvoir est tenu, en tant qu’il incarne la cité, d’« honorer Dieu et lui rendre un culte » même si la tolérance - dans le sens classique du terme - peut, le cas échéant, imposer quelques atténuations à ces principes. L’idée même de “saine laïcité” n’est pas dans l’esprit du temps.

Les fondements historiques et idéologiques de laïcité

La tentation d’édifier une pensée politique et morale détachée des croyances religieuses est vieille comme le monde. Satan y a toujours veillé. Cependant, sans qu’il soit nécessaire de remonter au péché originel, on peut rechercher les racines de la laïcité, ou de la sécularisation, dans les œuvres de certains théoriciens tel Marsile de Padoue.

**Marsile de Padoue (1275 ?-1343)

Ce philosophe dans son livre Defensor Pacis, rédigé en 1324 et publié deux siècles plus tard, défendit la thèse que « tout pouvoir est d’origine humaine ». Pour lui, qui mourut excommunié, l’Église n’est rien d’autre qu’une communauté ordinaire. Elle ne doit en aucune façon s’immiscer dans le gouvernement de la Cité. La croyance religieuse étant volontaire et d’ordre privé, il appartient à l’État d’en fixer les conditions d’exercice. En matière de morale, l’État jouit d’une très large autonomie et Marsile de Padoue soutenait que la « force obligatoire de la loi est indépendante de sa valeur intrinsèque ». On peut voir dans ces affirmations la préfiguration des thèses soutenues actuellement par les tenants de la laïcité et même par un nombre important de supposés catholiques.

**La Réforme protestante

La Réforme protestante s’inscrit dans le droit fil de cette pensée. Le “libre examen” en est une manifestation évidente : chacun interprétant les préceptes divins à sa manière, selon sa compréhension. Par ailleurs, en guerre ouverte contre Rome, Martin Luther ne
pouvait, pour soutenir sa rébellion, que se retourner vers les dépositaires du pouvoir temporel en faisant de chaque prince le « chef visible de l’Église sur terre ». Dans le protestantisme, alors que la croyance s’intériorisait, se privatisait, le pouvoir temporel pénétrait de plus en plus dans la sphère du spirituel : église anglicane, églises scandinaves... L’Orthodoxie n’échappa pas, elle non plus, à une pareille évolution.

**Le Gallicanisme et les Lumières

Le Gallicanisme, en parallèle avec le courant des Lumières, prépara la Révolution qui marqua, au moins pour un temps, le triomphe de l’esprit laïc. Ceci d’autant mieux que, profitant de l’anarchie des esprits, toutes les théories antichrétiennes se répandirent dans la société française. On assista alors à la mise sous tutelle de la Religion, première étape d’une déchristianisation programmée : abolition des ordres religieux, constitution civile du Clergé, institution du mariage civil et du divorce... Le XIXe siècle reprit l’offensive (lois sur les congrégations, lois scolaires, séparation de l’Église et de l’État...) et rien n’est terminé aujourd’hui. [3]

Panorama de la situation actuelle

**La laïcité à la française

De nos jours, il apparaît que les tenants de la laïcité aient renoncé, pour diverses raisons, aux affrontements violents du passé. Les idéologies trouvent moins d’écho dans l’opinion publique et, par tactique, il faut éviter de faire des martyrs afin de ne pas réveiller l’ardeur de l’adversaire.
Ne pouvant espérer pouvoir éradiquer brutalement la religion de l’âme humaine, on tente de contribuer à son lent dépérissement.

Les méthodes indirectes, plus douces, se montrent plus efficaces. Ceci d’autant mieux que l’Église catholique fut longtemps affaiblie par ses dissensions internes - modernisme - autant que par la progression rapide de l’incroyance pratique.

Il n’en va pas de même de la confession musulmane plus respectueuse, au moins en apparence, des préceptes coraniques supposés dictés par Dieu lui-même. L’idée de séparation du temporel et du spirituel lui reste totalement étrangère, tout comme le concept de laïcité.

La méthode utilisée, jouant de tous les ressorts propres à favoriser l’incroyance, est parvenue, dans les pays de vieille chrétienté, à une sécularisation progressive et quasi totale de la société. Au plan législatif, pas exemple, les lois ne tiennent plus aucun compte des principes religieux [4] : avortement, divorce, bioéthique, Pacs.

Un incident que tout le monde a gardé en mémoire [5] a bien montré que Dieu n’a plus sa place parmi les législateurs. Au cours de cet incident, aucun élu, même chrétien, n’a osé protester contre cette exclusion de Dieu.

L’homme moderne prétend décider seul sans autre référence que sa volonté propre. On en arrive logiquement à cette sentence de reniement : « Il n’y a pas de loi supérieure à la République. »

Je n’évoquerai ici que pour mémoire la laïcisation de notre vie quotidienne :
 projet de calendrier universel sous l’égide des Nations Unies,
 fixation des congés scolaires, multiplication des célébrations laïques se substituant aux fêtes religieuses,
 choix de noms de baptême sans signification spirituelle,
 tentative de suppression récente de la croix pour les sociétés de “ Croix rouge ”...

**Ingérence du pouvoir temporel dans le domaine spirituel

Parallèlement, on assiste à une intrusion de plus en plus fréquente du pouvoir temporel dans le domaine religieux. Prenant prétexte des difficultés suscitées par le développement, sur notre sol, du culte musulman, les gouvernants manifestent leur intention de tenir les religions en tutelle. Ces dernières doivent se plier aux exigences de l’idéologie dominante quitte à trahir leurs dogmes et leur mission [6]. Elles doivent être compatibles avec la modernité ! La mode de la “ repentance ” participe, volontai­rement ou non, à cette mise au pas.

L’État républicain, écartant le principe de séparation qu’il a lui-même imposé à la France, contre toute sa tradition historique, intervient quand il le juge conforme à ses intérêts. Ainsi, il intervient discrètement mais efficacement dans la nomination des évêques. Sans parler du financement des mosquées sous couvert de subvention culturelle...

La politique scolaire suit la même voie insidieuse. En apparence, l’école privée sous contrat a survécu à la guerre scolaire et les antagonismes se sont apaisés. Cependant, l’enseignement libre a perdu son identité, étant dans les faits intégré dans le service public de l’Éducation nationale. Au point de vue religieux, elle a renoncé à transmettre réellement la foi, se bornant à la proposer, à en discuter.

D’ailleurs, son caractère confessionnel ne gêne plus personne puisque, d’après un récent sondage, 3% seulement des parents d’élèves ont fait le choix, pour leurs enfants, d’une école catholique pour des raisons de convictions religieuses. Il ne serait pas honnête cependant de tout mettre sur le dos de l’État. Les enseignants comme les parents y sont aussi pour quelque chose. Cette attitude s’avère contraire aux exigences évangéliques (« allez enseigner toutes les nations ») mais le prosélytisme est aujourd’hui hors-la-loi.

Vers une religion républicaine obligatoire

Devant cette situation il est bien tentant pour la laïcité de promouvoir une véritable religion républicaine remplaçant les dogmes religieux, considérés comme diviseurs, par des postulats idéologiques tout aussi absolus, selon le vieux principe : on ne supprime bien que ce que l’on remplace.

Parmi les vérités qui doivent s’imposer à tous se trouvent, comme il se doit, la “ tolérance ” et les “ droits de l’homme ” qui manifestent pourtant, par nature, la rébellion de l’être humain contre son Créateur. Bien sûr, il ne s’agit pas de la tolérance dans sa définition classique mais du sens nouveau qui s’est imposé à notre société depuis quelques décennies. De nos jours, la tolérance nous pousse à l’acceptation égale et universelle de toute action humaine, même intolérable. C’est une valeur absolue, éminemment positive, ouverte à toutes les déviations, à toutes les “ hérésies ”, à toutes les convictions. Ce nouveau dogme n’accepte aucune exception. En fait, il n’y a rien de plus intolérant que les nouveaux apôtres de la tolérance. Ils excommunient avec facilité tous ceux qui ne sacrifient pas au nouveau culte.

Le projet de loi N° 432 du 9 septembre 2003 Sécularisation des rituels civils dans la République et respect de la neutralité de l’État et des services publics déposé par des élus socialistes est significatif de cette évolution vers un culte républicain obligatoire. Sans entrer dans le détail de cette véritable “religion civile”, il s’agit d’obliger tous ceux qui, pour marquer les grandes circonstances de la vie pratiquent un culte, quel qu’il soit, à rendre d’abord un hommage « public à la laïcité et aux droits de l’homme ».

En définitive, les pouvoirs publics acceptent que vous croyiez en Dieu à la condition de souscrire à la doctrine niant, de fait, son existence ou du moins, son autorité sur le monde créé. C’est ainsi que lors du baptême chrétien, une cérémonie laïque vient doubler ce sacrement avec remise par un délégué de l’État d’un exemplaire de la “Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen”. Ceci sous contrainte d’amende, voire d’incarcération. Semblable cérémonie sera renouvelée tout au cours de la vie, jusqu’aux funérailles. On y intégrera même des naturalisations et les Pacs.

Cela sent bigrement la Révolution, au temps le plus fort de la déchristianisation.
Certes, ce n’était qu’un projet sans avenir immédiat. Mais voilà l’orientation. D’autant que les baptêmes républicains sont déjà une réalité dans quelques municipalités.

Conclusion

Au terme de cet exposé, on pourrait à bon droit se montrer pessimistes. Effectivement, le tableau que je viens de brosser n’a rien de réjouissant. Cependant, nous ne l’ignorons pas, l’Église catholique, qui se trouve au cœur de nos préoccupations, peut compter sur la protection de la Providence. Elle a déjà, au cours de sa longue histoire, traversé mille périls, sans avoir été abattue.

Même s’il se voit rejeté des institutions humaines, Dieu est là. Il veille et intervient par des moyens qui souvent nous échappent quand Il Lui plaît. C’est pourquoi nous devons toujours être prêts.

En attendant, nous devons nous préparer par la formation et l’étude. Même si cela peut nous paraître ingrat et difficile. Il y tant de choses à remettre en ordre après la trahison de la plupart des autorités chargées du “ bien commun ”.

Parallèlement, nous devons vivre, les uns les autres, en toute fraternité. L’idéal poursuivi doit nous unir. Le combat solitaire est un combat perdu. Tâchons également de reconstituer, à notre échelle, un milieu chrétien, une manière de chrétienté en attendant la grande restauration. Et ne désespérons jamais de Dieu. Il donne la victoire à ceux qui la méritent.


[1La France compterait actuellement plus de cinq millions de musulmans. Il est cependant difficile de déterminer combien d’entre eux sont véritablement pratiquants.

[2Déclaration du pape Jean-Paul II à l’ambassadeur de France (28 octobre 1998) : « La laïcité est à entendre à la fois comme une autonomie de la société civile et des confessions religieuses et comme reconnaissance du fait religieux, de l’institution ecclésiale et de l’expérience chrétienne parmi les composantes de la nation, et, non seulement comme les éléments de la vie privée ». (L’œuvre d’Orient - 2005).

[3Les thèses gallicanes inspirèrent directement les promoteurs de cette politique anti-religieuse.

[4Rejet de la mention de l’héritage chrétien dans le préambule du projet de la constitution européenne.

[5Scandale provoqué par un député ayant présenté une Bible au cours de son intervention à la tribune de l’Assemblée Nationale. (Mme Boutin)

[6Pour la clarté de l’exposé, je ne distingue pas ici entre la religion catholique, seule vraie religion, et les autres cultes.