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Plaidoirie de Jean Foyer défenseur de Louis XX contre Henri d’Orléans [Partie 1]

Titre et armes de Louis de Bourbon

dimanche 4 décembre 2011, par ISH

1989, le prince Alphonse de Bourbon, duc d’Anjou, aîné de la Maison de Bourbon ― et à ce titre Roi de France ― meurt dans un accident. Le jeune Louis XX succède à son père et reprend le titre de duc d’Anjou. Alors la branche cadette d’Orléans ― en la personne de l’actuel Comte de Paris ― s’attaque à l’orphelin âgé de 15 ans pour lui contester devant le tribunal le droit de porter ce titre. Lors du procès, Louis XX est défendu par Jean Foyer, grand juriste et ancien ministre de la République converti à la légitimité. Voici la plaidoirie qui a fait triompher le droit de l’adolescent.

Introduction de VLR

Texte tiré la revue La Science Historique, printemps-été 1992, nouvelle série, n° 21, p. 5-16.

Déjà parût sur VLR :

AVERTISSEMENT : Sauf mention contraire, les titres ont été ajoutés par la rédaction de VLR pour faciliter la lecture en ligne.


Introduction de Jean Foyer

Plaidoirie devant la Première Chambre de la Cour d’Appel de Paris, le 22 novembre 1989.

À la mémoire de S.A.R. Alphonse de Bourbon dont j’eus l’honneur de faire triompher le droit avant que la mort ne nous l’enlevât.

J.F.


Rappel de l’historique de la procédure

Madame le Premier Président,
Mesdames, Messieurs,

Le 21 décembre 1988, le prince Alphonse de Bourbon connaissait l’une des dernières joies d’une existence marquée de nombreux malheurs.

Ce jour-là, le Tribunal de grande instance de Paris, en sa première chambre, déclarait M. Henri d’Orléans irrecevable en ses prétentions tendant à faire interdire à l’aîné des Bourbons
 l’usage du titre de duc d’Anjou et
 le port des armoiries pleines constituées de trois fleurs de lis d’or, en position 2 et 1, sur champ d’azur.

Le jugement était fortement motivé en droit comme en fait. Les historiens du droit les plus éminents et les spécialistes du droit héraldique l’approuveront sans réserve.

Éclairé par le Tribunal, M. d’Orléans va-t-il enfin comprendre son erreur, abandonner une procédure déplaisante pour son parent, imprudemment engagée, et dans laquelle deux membres d’autres branches cadettes de la Maison de Bourbon étaient intervenues à ses côtés, on ne sait pourquoi ?

Que non pas !
 À peine le jugement lui avait été signifié que le défendeur débouté interjetait appel, le 17 janvier 1989, par déclaration au greffe de la Cour.
 L’un des deux intervenants, M. Sixte-Henri de Bourbon-Parme l’imitait le 24 janvier 1989.
 Le duc de Castro, autre intervenant, allait tirer sagement les conséquences du jugement. Il ne renouvellera point le pas-de-clerc commis en première instance.

Hélas ! Le 30 janvier 1989, Alphonse de Bourbon trouvait une mort accidentelle horrible sur une piste de ski aux États-Unis d’Amérique. Il heurtait un filin qui venait d’être tendu et n’était pas signalé. La gorge tranchée, le prince expirait sur la neige, au bout de son sang.

Il laissait le seul fils vivant qui lui restât, son second fils Louis-Alphonse [Louis XX, NDLR], alors âgé de quatorze ans.

Cette fois, M. d’Orléans allait-il manifester, au moins par l’abstention, le minimum d’humanité que la mort appelle et que le malheur réclame ?

Hélas ! Dans un article donné au journal Le Monde, il commençait par déverser hypocritement son fiel sur la mémoire du disparu.

Avocat du prince, j’ai cru devoir rappeler l’auteur de l’article à la décence. Il n’a pas eu honte de produire son papier au débat.

Puis, le 22 mars, il a assigné Mme Rossi, mère et administrateur légal de son fils Louis-Alphonse, en reprise d’instance et en intervention forcée.

La haine d’un mort (titre de Jean Foyer)

Rarement aura-t-on lu des écritures aussi odieuses, au sens fort et latin du terme, que celles signifiées pour M. d’Orléans. Ce sont propos et écritures d’hommes qui ne respectent ni le tragique ni la douleur.

Tragique et douleur d’un adolescent, âgé maintenant de quinze ans qui a vécu, il y a cinq ans, l’accident mortel de son frère aîné, qui est éprouvé par la mort d’un père avec lequel il vivait, qui veillait sur lui et ses études, qui l’aimait tendrement et qu’il aimait tendrement.

Pareil comportement n’a rien de capétien, ni de royal. L’acrimonie de M. d’Orléans et de ses conseils manqua de noblesse.

Désobéissant à l’ordonnance de Villers-Cotterets, je rappellerai qu’en latin le contraire de nobilis, qui signifie noble, est ignobilis.

Dans les noms et les titres qu’ils donnent à leur cousin et à son père, dans les qualificatifs qu’ils employent, dans les insinuations qu’ils distillent, les mandataires et les conseils de M. d’Orléans font montre de sentiments déplacés dans une pareille cause, dans le procès qu’ils conduisent contre le fils adolescent d’un père tragiquement disparu.

Après les écritures, la communication de pièces adverses montre à quel point mes contradicteurs ont l’orléanisme haineux.

Nous avons été accablés de coupures de la presse espagnole à scandales, on nous a communiqué une sentence de la cour espagnole qui a prononcé la nullité du mariage des parents du jeune prince, on a voulu mettre en évidence les dissensions familiales et les séparations conjugales intervenues dans la Maison de Bourbon :
 séparation des grands-parents,
 séparation des parents,
 désaccords entre la grand’mère et la mère de Louis-Alphonse de Bourbon quant à l’éducation du jeune prince.

Ces événements, souvent et combien douloureux !, n’ont rien à voir, absolument rien à voir avec les questions de titre et d’armoiries, les seules qui sont soumises présentement à la Cour.

Ces évocations sans pertinence procèdent de la pure malveillance. Je n’en parlerai point davantage et les traiterai par le mépris.

Observons simplement que les critiques de la vie familiale d’autrui sont inattendues de la part de M. d’Orléans, si l’on en croit les reproches que son propre père lui adresse. C’est le cas de lui rappeler la parole évangélique, adressée aux lapidateurs :

que ceux qui n’ont jamais péché, jettent la première pierre.

L’objet de l’instance d’appel (titre de Jean Foyer)

Donc, M. d’Orléans a fait assigner Mme Rossi à la fois
 en reprise d’instance et
 en intervention forcée.

**L’assignation en reprise d’instance

L’assignation en reprise d’instance tend aux mêmes fins que la demande présentée aux premières et dont M. d’Orléans a été débouté par le jugement entrepris.
L’action exercée par cette demande est éteinte.
La demande est désormais sans objet.

À quoi tendait en effet la demande formée devant les premiers juges ?
À faire prononcer, contre Alphonse de Bourbon, une double interdiction sous astreinte,
 celle de faire usage du titre de duc d’Anjou,
 celle de porter les armoiries pleines, composées de trois fleurs de lis sur champ d’azur.

Il est bien inutile hélas ! de réclamer une interdiction comminatoire qui serait adressée à un prince défunt. Titre et armoiries, Alphonse de Bourbon ne les portera plus que sur la pierre de son
tombeau. On n’enjoint pas des interdictions à un mort.

La haine fait déraisonner certains vivants.
La demande en reprise d’instance sera déclarée irrecevable.

**L’assignation en intervention forcée

Bien curieuse, du point de vue de la procédure, est l’assignation en intervention forcée.

Selon l’article 66 du nouveau code de procédure civile,

constitue une intervention la demande dont l’objet est de rendre un tiers partie au procès engagé, entre les parties originaires.
 Lorsque la demande émane du tiers, l’intervention est volontaire,
 l’intervention est forcée lorsque le tiers est mis en cause par une partie.

En la cause, la demande en intervention forcée est formée par l’appelant, M. d’Orléans, contre l’intimée, Mme Rossi, en qualité d’administrateur légal.

La demande en intervention forcée tend à faire prononcer, contre le fils, les interdictions demandées en première instance contre le père.

Quel redoutable compétiteur pour les Orléans que Louis-Alphonse de Bourbon !

À la date de l’assignation, il avait fait un seul et unique usage du titre de duc d’Anjou, sur un document préparé par un ancien collaborateur de son père.

Le titre avait été écrit à l’avance sous l’emplacement de sa signature.

Quel dangereux compétiteur que cet adolescent, retourné dans le lycée madrilène, dans lequel son père l’avait placé et où il poursuit d’excellentes études. Le lycée, il est vrai, est le lycée français.

Quel terrifiant compétiteur qu’un jeune homme dont la mère a fait connaître, par un communiqué à la presse, qu’il entendait pour le moment achever ses études et se préparer une situation !

Les demandes formées par les appelants étant fondées sur des faits postérieurs au jugement de première instance et les demandes présentées devant les premiers juges étant devenues sans objet, rien n’obligeait M. d’Orléans à reprendre dès maintenant son procès. Il lui eût été possible de le reprendre plus tard devant le tribunal.

À la vérité, les prétentions formées à l’encontre de Mme Rossi en qualité d’administrateur légal, sont nouvelles. Mais, l’irrecevabilité n’en sera pas soulevée devant la Cour.

Il faut en finir et délivrer un adolescent d’un procès qui lui est pénible, et ne l’est pas moins à ceux qui furent les amis de son père.

Le prétexte de la procédure intentée par Henri d’Orléans

Pourquoi tant d’acharnement, de précipitation, de passion ?

Quel fait nouveau a déterminé M. d’Orléans à repartir à l’attaque en des conditions qui rendent sa procédure si déplaisante ?

Serait-ce l’usage nouveau du titre de duc d’Anjou par un Bourbon de la branche aînée, par l’aîné de la branche aînée ?

Assurément, non.
 Voilà près d’un siècle que les Bourbons aînés le font.
Les carlistes ont usé du titre de duc d’Anjou.
 Lorsque leur branche s’est éteinte, Alphonse XIII est devenu le chef de la branche aînée, et l’a été durant les cinq dernières années de sa vie de 1936 à 1941. Il préféra, ce qui était naturel, conserver le titre et le traitement de roi.
 Mais son fils Don Jaime, devenu l’aîné après la mort du prince des Asturies, et que l’on avait fait renoncer au trône d’Espagne, a repris le titre de duc d’Anjou. Il était le père du prince Alphonse.

Le port du titre de duc d’Anjou par les descendants de Philippe V, roi d’Espagne, est reconnu comme un usage par mon contradicteur lui-même, M. Trousset, champion de la cause orléaniste, dans son livre « La légitimité dynastique en France », publié en 1987, qui est produit au débat.
À la page 87, en note, M. Trousset écrit :

Les Bourbons-Orléans ont toléré le port, au sens mondain du terme, du titre de duc d’Anjou par des descendants de Philippe V.


 Toléré ! Toujours le discours condescendant, dédaigneux, lorsqu’il n’est pas insultant, des orléanistes à l’égard de la branche aînée.
 Toléré ! En vérité, les Bourbons-Orléans n’avaient ni à tolérer, ni à faire interdire, ni à concéder.

Ma plaidoirie sera la démonstration qu’ils n’ont aucun droit sur ce titre, aucun droit à ce titre.

Quoiqu’il en soit, le tribunal a relevé cet usage déjà vieux de près d’un siècle.

Les véritables motivations de l’acharnement de M. d’Orléans

Pourquoi les Orléans se sont-ils donc départis de leur prétendue tolérance ? il est utile de le rechercher pour expliquer la curieuse attitude de l’appelant.

J’en vois deux raisons principales :
 les fêtes qui ont marqué le millénaire capétien et
 la dégradation monarchique de M. d’Orléans par son père à Amboise.

**Un millénaire capétien dominé par la personnalité charismatique du Prince Alphonse

En 1987, les Français se sont heureusement réconciliés avec leur histoire. Sans distinction d’opinions ni d’appartenance, ils ont commémoré, en beaucoup de villes, l’avènement d’Hugues Capet, ancêtre de la dynastie qui remembra l’hexagone, et qui en a fait la France, délivrant les Français de l’assujettissement aux potentats féodaux.

À de telles cérémonies, le maire socialiste de Montpellier, le maire modéré de Toulouse, le maire radical de Lyon et bien d’autres ont invité l’aîné des descendants d’Hugues Capet, qui était Alphonse de Bourbon.

Ce prince était une personnalité remarquable, d’une haute intelligence, il savait allier la simplicité à la dignité, par sa délicatesse il attirait naturellement la sympathie.

Quoi qu’aient écrit certains, qui lui ont donné après sa mort le titre de « roi de droit » dans des cartons d’invitation à des services funèbres, Alphonse de Bourbon n’a jamais fait acte de prétendant.

Quelques jours avant sa mort, évoquant les procédures et les prétentions orléanistes, il écrivait :

La différence entre ces princes (les Orléans) et moi tient à ce que moi, je ne prétends à rien, me contentant d’essayer d’assumer la charge, dévolue par la Providence, d’être l’aîné et donc le chef de ma famille.

Les invitations adressées à Alphonse de Bourbon ont irrité les Orléans. Ils ont tout tenté pour empêcher leur cousin d’être présent. Comme ils étaient invités le plus souvent eux aussi, ils ont répondu :

ou nous, ou lui.

Le procédé a quelquefois réussi. Dans la majorité des cas, ils n’ont rien empêché, et ne sont pas venus. Durant l’année 1987, Alphonse de Bourbon a participé à une centaine de cérémonies, faisant usage du titre de duc d’Anjou.

D’où inquiétude et hargne chez les Orléans qui se targuent d’avoir, comme ils disent, « relevé d’héritage dynastique » à la mort du Comte de Chambord en 1883.

Inquiétude et hargne chez les Orléanistes et dans les petits journaux illustrés à leur dévotion.

Singulière histoire en effet que celle de la Maison d’Orléans.

**Brève histoire des Orléans

LOUIS-PHILIPPE-JOSEPH, DUC D’ORLÉANS OU PHILIPPE ÉGALITÉ

Louis-Philippe-Joseph, duc d’Orléans au début de la Révolution fut l’un des plus actifs démolisseurs de la vieille monarchie capétienne.

Il finança, car il était richissime, la presse et les journées révolutionnaires. Sans doute rêvait-il d’être fait roi.

Après le 10 août, l’ambition chez lui le céda à la peur.

Pour être candidat à la Convention,
 il changea son nom pour celui d’Égalité devant la Commune de Paris,
 fit un « désaveu de filiation » devant le club des Jacobins, se disant fils d’un palefrenier.
 Il vota la mort de Louis XVI, qui fut envoyé à l’échafaud à une voix de majorité, ce qui lui valut le dégoût et le mépris de Robespierre lui-même. L’Incorruptible a dit du corrompu :

Égalité était peut-être le seul qui pût se récuser ! [1]

Le déshonneur volontaire ne sauva point Égalité. Moins de trois cents jours après Louis XVI, il monta à son tour sur l’échafaud. Il se serait, paraît-il, converti à sa dernière heure ! Il était bien temps.

LOUIS-PHILIPPE

Son fils, Louis-Philippe, fait lieutenant général du royaume par Charles X, se fit roi des Français sous le nom de Louis-Philippe Ier.

Son règne se termina en 1848, plus mal encore que celui de Charles X, par le départ en exil.

DES PRÉTENTIONS TOUJOURS ACTUELLES

Depuis la mort de Chambord, les Orléans se sont acharnés à vouloir faire admettre qu’ils étaient désormais les héritiers du trône en vertu des lois fondamentales de l’ancienne monarchie qu’ils avaient si bien contribué à abattre. Le livre de Me Trousset est l’expression moderne de leurs prétentions.

Bien accueillie et appréciée, la présence d’Alphonse de Bourbon leur a paru dangereuse pour leurs très illusoires prétentions dynastiques.

Pourtant, le chef de la Maison d’Orléans, qui porte le titre de Comte de Paris, s’est prudemment gardé de toute procédure judiciaire. Le tribunal n’a point manqué de le relever dans son jugement. Mieux doué que son fils, le chef de la Maison d’Orléans a mesuré sans doute le danger de soumettre les prétentions orléanistes à un débat judiciaire.

C’est donc le fils aîné qui s’est fait demandeur en première instance et qui, débouté, est appelant devant la cour. Très certainement l’a-t-il été et l’est-il sans l’aveu de son père.

Car le père et le fils sont brouillés.

**La dégradation monarchique de M. d’Orléans par son père

Lors du mariage de son fils aîné, le Comte de Paris lui avait attribué le titre de Comte de Clermont, celui d’un ancien apanage des princes de Condé.

Par la suite, M. Henri d’Orléans a divorcé et il s’est remarié. Le Comte de Paris n’a pas admis ce divorce et ce remariage. Il a appliqué des sanctions.
 La première a été un changement de titre. Le Comte de Paris a prétendu retirer à son fils le titre de Comte de Clermont, et lui a attribué, à la place, le titre de Comte de Mortain.
Sans doute le mortainage est-il, dans la maison d’Orléans, analogue à ce que fut le limogeage dans l’armée en 1914.
 Puis, deuxième sanction, qui serait grave si les prétentions orléanistes avaient quelque chance de succès, le Comte de Paris a infligé à son fils aîné une dégradation dynastique. Il a considéré que l’héritier du trône n’était plus son fils aîné mais son petit fils aîné, Jean, qu’il a nommé duc de Vendôme et présenté comme son héritier présomptif, l’héritier de la couronne, au cours d’une cérémonie au château d’Amboise à l’automne de 1987.

Tout cela relève du surréalisme.

Mais M. Henri d’Orléans n’a pas accepté sa dégradation, il se tient toujours pour l’héritier présomptif de la couronne. Dans son assignation devant le tribunal, il a même pris le titre et la qualité de Dauphin de France. Il écrit et il professe que les lois fondamentales de l’ancienne monarchie ne permettent pas à son père de lui retirer sa vocation successorale à la couronne.

Il a cru faire mieux encore. En contestant à Alphonse de Bourbon son titre et ses armoiries, il a fait le calcul, assez enfantin, que le tribunal, en le déclarant recevable, lui reconnaîtrait sa qualité dynastique, sa vocation au trône !

Idée singulière, et même saugrenue : M. Henri d’Orléans cherche à faire dire, au moins implicitement, par les juridictions de la République, qu’à la mort de son père il sera le prétendant légitime, le roi de droit.

Position du débat devant la Cour :

Deux questions sont en litige :
 une question de titre et
 une question d’armoiries.

Le jugement entrepris a parfaitement résolu les deux questions. Il l’a fait comme il convenait, par application du droit privé, seul applicable à la cause.
 Sur la question du titre, le tribunal a décidé que M. d’Orléans, ne justifiant d’aucune collation au titre de duc d’Anjou à un de ses ancêtres, de sa transmission et de son investiture, était irrecevable à agir en usurpation de titre.
 Sur la question des armoiries, le tribunal a rappelé qu’elles sont un accessoire du nom, qu’elles en sont indissociables et que, selon la coutume, les aînés portent les armes pleines.
À la date du jugement, Alphonse de Bourbon était l’aîné des Capétiens. Depuis sa disparition prématurée son fils l’est aujourd’hui.

Ces raisonnements, pourtant irréfutables juridiquement aussi bien qu’historiquement, M. d’Orléans prétend les combattre par une argumentation que la cour ne saurait accueillir, parce qu’elle exprime toujours des prétentions dynastiques, fondées sur l’ancien droit monarchique.

Comme le litige oppose un membre d’une branche cadette à l’aîné de la branche aînée, il est indispensable de rappeler brièvement la généalogie des Bourbons avant que de discuter les deux questions litigieuses.

Observation liminaire

**La généalogie des Bourbons

Tous les Capétiens vivants, descendant d’Hugues Capet, de mâle en mâle, en légitime mariage, sont issus du sixième fils de Saint Louis, Robert de Clermont, qui contracta mariage avec la fille du Seigneur de Bourbon l’Archambault. Son fils aîné portera et le nom et le titre de duc de Bourbon.

À la fin du XVIe siècle, le chef de la Maison Capétienne, issu de la branche des Valois, est le roi de France Henri III, assassiné en 1589.

Le trône de France passe à l’aîné de la Maison de Bourbon, Henri, alors roi de Navarre, qui devient le roi de France Henri IV, assassiné en 1610. Henri IV a pour successeur Louis XIII.

Généalogie des Bourbons
Tableau généalogique simplifié des enfants mâles de Louis XIII et comparaison de la position du Comte de Paris à celle de Louis XX.

Les deux parties à l’instance descendent de l’un et l’autre fils de Louis XIII,
 Louis, né en 1638,
 Philippe, né en 1640.

**La branche aînée issue de Louis XIV

Louis, qui devient le roi Louis XIV, a un fils aîné, qui mourra avant son père, et qui sera désigné après sa mort sous le titre de Grand Dauphin.

Le Grand Dauphin laisse trois fils, titrés à leur naissance
 duc de Bourgogne,
 duc d’Anjou,
 duc de Berry.

Le duc de Bourgogne, devenu Dauphin, mourra avant son grand-père, un seul de ses fils lui survivra, Louis, qui devient le roi Louis XV, le 1er septembre 1715.

Le fils de Louis XV mourra avant son père, laissant trois fils qui régneront tous les trois : Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. La branche issue du duc de Bourgogne est éteinte.

Le fils aîné de Charles X, le duc d’Angoulême, meurt sans enfants.
Son fils cadet, le duc de Berry est assassiné en 1820, alors que sa femme commence une grossesse. Elle accouche de celui qui, titré duc de Bordeaux, l’enfant du miracle, s’intitulera de préférence comte de Chambord et mourra, exilé, à Frosdorff, en septembre 1883.

Le duc d’Anjou, second fils du grand Dauphin, est fait roi d’Espagne par le testament de son grand oncle maternel, le roi Habsbourg Charles II qui est sans postérité.

Devenu roi d’Espagne, Philippe V sera l’ancêtre de nombreuses branches de la Maison de Bourbon dont les membres régneront à Madrid sur l’Espagne ou plutôt les Espagnes, à Naples sur le royaume des Deux-Siciles, à Parme, Plaisance et Guastalla.

Le seul intervenant qui demeure en la cause est un cadet de la branche de Bourbon-Parme, des descendants de Philippe V règnent de nos jours à Madrid et à Luxembourg.

Intronisé à Madrid, Philippe V avait introduit la loi salique par une pragmatique sanction.
Un siècle durant et plus, la succession des rois d’Espagne est dévolue de mâle en mâle, sans difficulté dynastique. Charles III, Charles IV et Ferdinand VII se succèdent.
Tout change à la mort de Ferdinand VII. Le roi Charles IV avait laissé trois fils :
 Ferdinand VII,
 Charles et
 François de Paule.

Ferdinand, quatre ans avant sa mort eut, d’un remariage tardif, une fille, Isabelle sa seule héritière. Il veut lui laisser sa couronne et change la pragmatique sanction.

Charles, son frère cadet, estime qu’il est éliminé sans droit, qu’il est lui, le roi légitime. Il part en guerre contre la régente de sa nièce, c’est le début du Carlisme espagnol.
L’Espagne connaîtra de ce fait trois guerres civiles au XIXe siècle.

Suivons les trois branches issues de Charles IV.

Isabelle épouse ― on lui fait épouser ― son cousin germain François d’Assise, fils de François de Paule, troisième fils de Charles IV, elle est la mère d’Alphonse XII.

Celui-ci a pour fils Alphonse XIII, dont sont issus Don Jaime, père d’Alphonse de Bourbon, et Don Juan, père du roi d’Espagne régnant, S.M. Juan-Carlos.

Parallèlement, les carlistes se succèdent.

Le dernier d’entre eux meurt en 1936.

À ce moment, Alphonse XIII, aux droits de François d’Assise, devient l’aîné des Bourbons d’Espagne et l’aîné de tous les Bourbons, son fils Jaime, son petit-fils Alphonse et son arrière-petit-fils Alphonse le sont devenus après lui.

Nous allons retrouver tous ces noms dans la suite de la discussion.

**La branche cadette issue de Philippe d’Orléans

Disons un mot maintenant de la descendance de Philippe, fils cadet de Louis XIII.

Cette généalogie est plus simple.

À Monsieur, frère de Louis XIV succéderont un fils Philippe, régent durant la minorité de Louis XV, son petit-fils Louis, son arrière petit-fils Louis-Philippe, son arrière petit-fils Louis-Philippe-Joseph, qui prend en septembre le nom de Philippe Égalité.

Le fils d’Égalité, qui régnera sous le nom de Louis-Philippe Ier, laissera de nombreux fils.
L’aîné Ferdinand, duc d’Orléans, meurt accidentellement au pont de Neuilly en 1842, laissant deux fils, l’un Philippe, fait comte de Paris et l’autre Robert, titré duc de Chartres.

Le fils aîné du comte de Paris, Philippe, portant le titre de duc d’Orléans mourut sans postérité en 1926.

L’aîné des Orléans devient Jean, duc de Guise, fils de Robert, duc de Chartres.
Il est le père du comte de Paris, père de l’appelant.

Ces données étant rappelées, examinons maintenant les deux questions en litige.


Voir en ligne : Institut des Sciences Historiques


[1J. Tulard, J.F. Fayard et A. Ferro - Histoire et dictionnaire de la Révolution française. Paris. Laffont. 1987. V° Orléans, p. 1010.