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Oraison funèbre de Louis XVI, Chapelle expiatoire, 25 janvier 2014

Avec moi j’ai pour gardien l’Ange du Seigneur (Office de Ste Agnès)

vendredi 7 mars 2014, par Père Augustin Pic O.P.

« Le roi ne meurt pas en France ». Grande vérité ! Chez nous le roi ne meurt pas, parce qu’à l’instant où il emporte au tombeau son amour pour les siens, cet amour à la fois remonte à Dieu qui l’inspirait et se perpétue dans les successeurs. Cependant, notre pays ne se relève pas du régicide (parricide) de ce sinistre 21 janvier 1793 où le roi Louis XVI comparût devant son Créateur, assassiné par des terroristes. D’épreuves en épreuves, Dieu entend détacher du monde présent l’âme de chacun, du prince autant que du mendiant, de notre Prince ici présent comme de celle de chacun de nous. C’est ainsi qu’Il nous rappelle à notre devoir.

En la présence de Mgr le Duc d’Anjou.

Bien aimé Fils de Saint Louis,

Bien chers Frères,

C’est en toute sincérité qu’à son avènement un prince de vingt-ans fit sien le sentiment de son épouse d’un an moins âgée : « Nous régnons trop jeunes ! ». Sans perdre cœur à ce constat, il ne laissa pas de se mettre au travail, riche de quelque idée, que la suite allait perturber mais sérieuse, sur le renouvellement et les continuités qu’il fallait à la France. La crise de la chose publique puis le triomphe de la subversion, des limites personnelles aussi — il fut variable et indécis — le firent échouer. Au point de perdre sa puissance et sa réputation puis la couronne et finalement la vie.

La paix du chrétien se trouve en son Seigneur

Mais d’où vinrent l’inaltérable paix, la grandeur plus que royale que ce vaincu de l’Histoire montra jusque dans le pire ? Eut-il un secret ? Oui, Monseigneur ! Oui, mes Frères ! Le christianisme de son enfance lui fit faire de Dieu, au long de tant d’épreuves, les ultimes surtout — aux Tuileries, au Temple, à l’échafaud — une expérience vraie, à la fois profondément intérieure et assez manifeste pour que certains de ses ennemis même en demeurassent à jamais frappés. Comme par avance, on en trouve l’expression saisissante dans le psaume 22e chanté par notre chorale, par lequel, peut-être au temps de son fils Absalom, rebelle et usurpateur, le saint roi des Hébreux David s’adresse à Dieu, préfigurant Jésus-Christ au Jardin des Oliviers :

Si ambulem in medio umbrae mortis non timebo mala quoniam Tu mecum es.

Si je marche à l’ombre épaisse de la mort je ne crains aucun mal puisque Vous êtes avec moi.

À quoi font écho les paroles de sainte Agnès en son martyre célébré chaque 21 janvier :

Mecum habeo custodem angelum Domini

Avec moi j’ai pour me garder l’Ange du Seigneur.

Ange qu’avait en vue l’auteur du beau marbre que nous contemplons ici, avant que de descendre au lieu funèbre.

De là, pour montrer à tout chrétien et à tout homme, de France et d’ailleurs, la nécessité de s’abandonner au Dieu vivant, dans l’accomplissement du devoir d’état jusqu’au ténèbres de la mort s’il le faut, abandon sans lequel il n’est point de sainteté en ce monde ni de béatitude en l’autre, nous allons méditer ensemble, en cet anniversaire qui est moins de tristesse que d’éveil et d’espérance, quelque chose de la vie, si tragique et si édifiante, de ce TRÈS HAUT, TRÈS PUISSANT, TRÈS EXCELLENT LOUIS XVIe, de ce NOM GLORIEUX : « ROI de FRANCE et de NAVARRE ».

O veritas Deus, dit l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ, fac me unum tecum in charitate perpetua !

Ô, vérité qui êtes Dieu, faites-moi un avec vous en l’amour qui n’aura pas de fin !

Chrétiens, c’est là toute notre raison d’être. Si l’homme en effet n’avait à s’unir à Dieu pour toujours, il n’existerait pas même puisque Dieu ne l’aurait jamais créé.
Or, en attendant l’éternel embrassement avec Celui qui nous a faits, c’est de deux façons différentes, contraires en un sens mais complémentaires, qu’Il nous unit à Lui.

  • Par la première, et ce sera un point de mon discours, Il nous détache peu à peu de cette vie,
  • par la seconde, et ce sera l’autre, Il nous fait solidaires du prochain.

Ainsi, pour une fois, nous regarderons ce matin en Louis XVI moins la politique et l’histoire que la vie spirituelle en soi, que cette grâce intérieure dont le Saint-Esprit est l’auteur et l’acteur en tout baptisé autant qu’en tout roi très chrétien, et qui, transcendant les époques, ne se révèle en nos grands disparus que pour inviter chacun de nous à les imiter aujourd’hui, en ce paradoxe évangélique que je viens de dire :

  • le détachement par rapport à la présente existence, laquelle un jour, fatalement, se détachera de nous, et
  • un attachement au prochain qui, en revanche, doit durer éternellement.

Commençons.

Le détachement du monde

Louis XVI aima la vie. Goûtant les arts physiques, manuels et militaires, la géographie, le droit et l’histoire ; aimant sa famille, les gens de bien, sa couronne, la France. Si l’affection qu’il avait pour les siens et la joie qu’il trouvait à leur intimité restent hors de doute, il est vrai que les doctes ne s’accordent point après deux siècles sur ses dispositions pour la royauté : on pense volontiers que, la fonction se désacralisant, il s’y sentait peu et n’y croyait guère. N’est-ce point faute de voir assez que sa célèbre formule « le malheur d’être roi » procédait en réalité d’un double sentiment :

  • celui, initial, des responsabilités devant Dieu — et qui ne tremblerait en montant sur un trône d’avoir à en rendre compte un jour ?
  • celui, ultérieur, des affres subies en exerçant.

S’il fut toujours aisé à Louis XIV de chérir un métier de roi qui le laissa mourir en paix et, malgré le mécontentement de ses sujets las de tant d’impôts et de guerres, respecté encore, c’est, à n’en pas douter, une vertu très au-dessus de l’ordinaire qu’il fallut à son infortuné successeur pour aimer une position qui devait mener un jour à la fin que l’on sait le traitre qu’il ne fut pas.

Pour sentir quelque chose des transformations que la grâce opéra en lui, il suffira d’évoquer brièvement ce qu’il supporta au long des presque vingt ans qui séparent son sacre de sa mise à mort.

  • La perte du premier dauphin son fils, en juillet 1789, alors que déjà les événements se précipitent et lui échappent,
  • les déchirements de sa conscience à la signature de la Constitution civile du clergé,
  • l’interdiction de préférer, même en privé, le culte catholique à celui des jureurs et schismatiques,
  • l’échec d’un voyage de Montmédy qui, loin d’être une « fuite à Varennes », ne visait à rien moins que ressaisir politiquement la conjoncture,
  • les horribles émeutes de juin et août 92 puis les massacres de septembre.
  • Enfin, le même mois, l’abolition d’une monarchie dont les huit siècles avaient fait la France.

Si nous interrogions la simple politique, nous ne manquerions pas de trouver mille explications et plus à pareille destinée mais pour en saisir la raison suprême, ce sont les mystères du Salut qu’il faut sonder.
Que dire ? Tout simplement ceci, que, d’épreuves en épreuves, Dieu entend détacher du monde présent l’âme de chacun, du prince autant que du mendiant, de notre Prince ici présent comme de celle de chacun de nous. Pourquoi ? La création, œuvre d’un créateur si bon, est-elle donc assez mauvaise pour qu’il faille s’en abstraire et non sans douleurs ? Nullement. Mais, quoique bonne, elle demeure transitoire par nature. Or, par nature, notre âme intransitoire, notre âme immortelle, notre âme promise à de l’ineffable, n’est point faite pour vivre toujours en son corps — au moins tel qu’il est maintenant — et en ce monde ; en un corps qu’elle habite un instant, en un monde dont la figure passera au temps marqué.

C’est là, pour ainsi dire, le nécessaire moment négatif de l’action divine. Mais ce négatif a corrélativement et immanquablement son positif. Dieu en effet ne fait jamais l’un sans l’autre. De la sorte, chaque fois qu’une épreuve, même non méritée, est bien vécue, chaque fois qu’en l’ombre épaisse de nos morts, nous laissons Dieu descendre et nous soutenir, c’est, chaque fois, une aspiration au monde futur, un éclat de sa lumière, un transport de l’amour qui nous y comblera qui s’emparent de nous, ici et maintenant, qui nous habitent, nous transforment, nous comblent, nous transfigurent. Que David le redise : Si je marche à l’ombre de la mort le Seigneur est avec moi, qu’Agnès nous le répète : J’ai avec moi pour me garder l’Ange du Seigneur, et par lui, en moi, le Seigneur lui-même. Alors, devant qui tremblerais-je ?

Voilà ce que Louis, chrétien et roi, eut charge de vivre. Plutôt malgré lui d’abord car, d’abord, il ne fut comme tant d’autres en son temps qu’un fidèle sincère mais moyen, ensuite, et peu à peu, de son plein gré. Jusqu’à cette veille du 10 août 1792 où, dépouillé de lui-même, il appela son confesseur d’alors par la missive bien connue et si poignante :

Venez me voir. Jamais je n’eus plus besoin de vos conseils. Tout est fini pour moi parmi les hommes. C’est vers le ciel que se tournent mes regards. Tout est fini.

Voilà, à force d’endurer, le renoncement au présent monde, « vers le ciel mes regards » : voilà l’aspiration au Royaume qui vient, royaume qui n’est si désirable que parce qu’il n’est pas de ce monde, ainsi qu’au jour de Sa Passion le proclama devant Pilate notre Seigneur et divin Frère Jésus-Christ.

L’amour du prochain

Mon second point est une question. Comment concilier ce « tout est fini pour moi parmi les hommes » et le devoir d’état ? Et la vocation royale ?

Louis acheva-t-il sa vie sur un mépris pour ses calomniateurs, pour ses bourreaux, pour ceux que la peur empêchait de se porter à son secours, pour la France, pour l’humanité ? Certes, il n’aima ni les factieux conjurés contre sa monarchie, ni la sanglante populace, que jamais il ne confondit avec le Peuple. Certes, il usait avec tous de cette fierté princière et royale qu’il garda toujours et que sentirent au « procès » même les acteurs ou observateurs les moins favorables. Tel le jacobin Prudhomme, partisan d’une sentence de mort, quand il écrit :

Le président a questionné à perte de vue [...] mais [...] Louis a parlé avec une brièveté royale, brevitate imperatoria, et la Convention n’a eu partout qu’un style lâche, sans force et sans dignité.

Certes, il eut le sentiment croissant de devenir comme étranger au tourbillon révolutionnaire. Étranger à un monde si cruel et même, nous venons de le voir, au monde tout court. Certes. Mais, au fond, homme, chrétien, roi, il aima ses semblables, et les aima jusqu’à subir par eux, et en pardonnant, l’ultime humiliation.

On rapporte que de Talleyrand, son aîné de sept mois, le demi-sourire en fin de vie semblait subtilement plein de longs mépris reçus et donnés. En Louis, j’ose le dire, à qui l’on reprocha d’avoir trop bonne opinion des autres et non assez de lui-même, ne furent jamais que des mépris reçus :

— Me lier, s’écria-t-il au pied de l’échafaud ? Jamais !

— Sire, répondit la grave et tendre voix du confesseur, je ne vois là qu’un trait de ressemblance supplémentaire de V.M. avec le Dieu qui va être sa récompense.

— J’y consens, acheva le roi, mais il ne faut rien moins que son exemple pour me soumettre à pareil affront.

Il aima les grands cœurs. Quelle n’était pas son émotion devant les derniers sujets fidèles, devant le repentant Malesherbes, devant l’humble Edgeworth, devant ceux du personnel de la sombre tour qui lui gardaient ou retrouvaient à sa vue le respect qui lui était dû, se risquant parfois à lui offrir, à la dérobée, quelque menu service.
Il aima la France, sa France, la nôtre. Il s’était fait gloire d’y commander. Il n’avait régné que pour sa réforme et son bonheur. Il voulut la refonder sur la religion,

  • au début en décidant, contre l’opinion, de se faire sacrer dans les formes traditionnelles,
  • en promettant, peu avant sa chute, de la vouer au Sacré-Cœur dont il avait la dévotion,
  • en refusant, à la fin, de l’accuser du régicide, interdisant toute vengeance à son fils, consentant au sacrifice pour détourner d’elle la colère divine et lui gardant mystérieusement par ce pardon dernier un avenir ouvert …

Pourquoi ?

  • Parce qu’aimer Dieu et aspirer au ciel c’est aimer le prochain qu’on y retrouvera et dont on est chargé en attendant, et lui en fut chargé comme roi.
  • Parce qu’être soutenu au plus profond de soi au temps de l’épreuve par un Dieu qui l’a endurée le premier, c’est le répandre autour de soi, c’est l’offrir au prochain. Quelle impression, par exemple, ne retira pas le bourreau ?
    Il a soutenu tout cela, écrira Sanson édifié, avec un sang-froid et une fermeté qui nous a (sic) tous étonnés. Je reste très convaincu qu’il avait puisé cette fermeté dans les principes de la religion dont personne plus que lui ne paraissait pénétré ni persuadé.
  • Parce que recevoir de Dieu une nation à gouverner, c’est rester attaché à elle toute sa vie et par delà la mort, d’où le sens religieux de l’antique formule politique encore prononcée par Louis au Temple, peu avant la tragédie : « le roi ne meurt pas en France ». Grande vérité ! Chez nous le roi ne meurt pas, parce qu’à l’instant où il emporte au tombeau son amour pour les siens, cet amour à la fois remonte à Dieu qui l’inspirait et se perpétue dans les successeurs.

Invocations

Louis, mort fidèle aux promesses de notre commun baptême, mort fidèle, autant que le permirent en vous la faiblesse humaine, les incertitudes de l’événement et les violences de la période, à celles de votre sacre qui vous liaient à nous pour toujours, nous espérons vous avoir pour intercesseur. À saint Louis et à vous nous confions la France, l’Église qui est en France, nos familles, nos cœurs, le présent et l’avenir.

Obtenez-nous la grâce d’accomplir nos devoirs de chaque jour, dans la joie d’aimer et de servir, sans nous laisser abattre par l’échec ou les ingratitudes.

Obtenez-nous la force de résister avec les armes de la vérité, de la raison et de la paix, sans violence physique ou verbale aucune, aux programmées destructions spirituelles et morales.

Obtenez-nous aussi de ne jamais céder, par réaction, à la reviviscence des vieilles idéologies, païennes et idolâtres, de la nation ou de la race. De quelque côté, effet, que vienne la culture de mort, il faut la combattre, et on ne la combat que par la vie et par l’amour.

Amen.