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Économie libérale : main invisible, main injuste

Les corps de métier solution alternative au capitalisme

dimanche 27 mai 2018, par DesMillets

Fondé sur l’égoïsme, le libéralisme économique ne se préoccupe pas de justice. Plus encore, dans la pratique il viole ses propres principes (principes de liberté du travail, de liberté de gestion, de libre concurrence, d’acceptation des risques). Pareillement il n’assure pas les droits qu’il prétend garantir comme les droits à l’emploi ou celui du choix de l’emploi. En réalité tout le système est organisé pour qu’une toute petite minorité puisse concentrer et conserver dans ses mains tous les pouvoirs et l’argent sans la contrepartie de la responsabilité. À l’opposé, le système naturel des corps de métier est fondé sur les principes de justice, d’adéquation au bien commun, de responsabilité, de juste prix et de répartition équitable des bénéfices.

Le libéralisme économique, ou l’égoïsme érigé en principe de société

En dirigeant cette industrie de manière que son produit ait le plus de valeur possible, il [l’homme] ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société que s’il avait réellement pour but d’y travailler [1].

Ce passage est tiré de l’ouvrage intitulé Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, publié en 1776 par l’économiste Adam Smith (1723-1790). Au chapitre II du tome IV, cet auteur évoque, pour la première fois, un concept économique qui va devenir célèbre, celui de la « main invisible ». Selon ce concept, c’est par la recherche de son intérêt personnel que chacun œuvrerait, souvent sans le vouloir, à l’intérêt général. Dans cette absence d’intention, il y aurait même plus d’efficacité que s’il y travaillait volontairement. Ainsi, la poursuite de l’intérêt individuel et la recherche constante du plus grand profit pour l’activité personnelle aboutiraient à la meilleure organisation économique possible au plan de la nation. Voilà donc l’égoïsme érigé en vertu. Voilà donc l’intérêt personnel transformé en vraie boussole, seule capable de guider la conduite des hommes dans leurs activités économiques et, par là même et à leur insu, vers l’utilisation optimale des ressources productives.
Pour Adam Smith, il s’agit là d’un processus véritable et parfaitement naturel : la recherche de l’amélioration de la situation personnelle de chaque agent économique aboutit, il en est certain, à l’échelle macroéconomique, à bâtir un ordre spontané fait de régulation des marchés et d’équilibre des transactions. Pour cet auteur, le mobile « égoïste » qui amène chaque individu à améliorer sa situation économique engendre au plan national des effets bénéfiques ; il réalise l’intérêt général.

Magie et mirage

En écrivant Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Adam Smith avait-il conscience de rédiger ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui l’acte de naissance du libéralisme ? Il est permis d’en douter tant cette expression de « main invisible » se fait rare sous sa plume (à trois reprises seulement dans son œuvre). Mais peu importe ! Car ce qui compte, c’est ce que la postérité en aura fait. Et ce qu’elle en a fait est considérable ! Car cette main, ce n’est pas seulement un guide, c’est le meilleur et même l’unique. Toute autre intervention s’en trouve naturellement écartée comme étant non seulement inutile mais profondément néfaste. L’État lui-même doit s’abstenir d’intervenir sur le marché, celui-ci se régulant naturellement et permettant la satisfaction du plus grand nombre. Seul compte l’équilibre naturel résultant du libre jeu des agents économiques et de la confrontation des intérêts qu’ils poursuivent. Dès lors, le rôle de l’État ne doit plus être cantonné qu’à l’exercice des fonctions dites régaliennes : défense, justice, sécurité. Et rien ni personne ne doit venir troubler l’action subtile et parfaite de cette main quasi providentielle que, pourtant, personne n’a jamais vue ni ne pourra voir !
L’économie, pour les libéraux et ceux qui les croient, c’est aussi de la magie ! Et la magie, on le sait, produit des choses extraordinaires, en l’occurrence, ici, richesse des nations et paix sociale, la panacée donc. Un mirage.

À l’école des physiocrates

Avant lui, Quesnay, dont Smith s’était d’ailleurs inspiré [2], condamnait déjà tout interventionnisme de l’État en matière d’échanges. Pour ce docteur en médecine piqué d’économie, la politique « la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la Nation et à l’État, consiste dans la pleine liberté de la concurrence [3] », ce que la postérité a synthétisé dans la fameuse formule du « Laissez faire, laissez passer !  » apparue au XVIIIe siècle avec Vincent de Gournay. Fondateur de l’école des physiocrates, Quesnay est, en effet, un fervent partisan d’un libéralisme économique radical. Ne rapporte-t-on pas qu’il aurait fait au jeune dauphin, le futur Louis XVI, qui lui demandait ce qu’il ferait s’il était roi pour aider l’économie du royaume, cette funeste réponse : « Rien !  [4] »
L’histoire est têtue. Le déclin de l’école des physiocrates fut aussi rapide que son ascension.

Qualifié de secte dès 1760, le mouvement rencontra très rapidement, de toutes parts, une forte opposition. Au point que Quesnay lui-même finira par délaisser la matière économique et ses amis pour les mathématiques ésotériques. Choix éclairant !

Et pourtant, dès 1774, Turgot fraîchement nommé contrôleur général des Finances par Louis XVI ne manquera pas d’appliquer une politique très largement inspirée de la pensée des physiocrates, desquels il était très proche. L’hostilité déclenchée par sa politique auprès des financiers, des parlementaires, et jusqu’au clergé lui-même [5], aboutira d’ailleurs à sa disgrâce en 1776.

Mais le mal est fait. Car en matière économique, peut-être plus qu’ailleurs, les rapports entre les acteurs sont des rapports de force. Et si l’on veut éviter que le fort écrase le faible, il faut protéger ce dernier. Pourtant, le système libéral n’aura de cesse d’exiger que la réglementation soit limitée au minimum. Le principe de liberté économique est posé et va se décomposer en deux grands volets :

  • le principe de liberté du commerce et de l’industrie d’une part,
  • le principe de liberté du travail, d’autre part.

Lorsque commerce et industrie sont « libres »

**Rappel historique

Pour ce qui concerne le premier de ces principes, il n’est pas inutile de rappeler que, sous l’Ancien Régime, il n’existe pas de liberté du commerce et de l’industrie au sens où l’entendent les libéraux aujourd’hui. Les activités économiques sont réglementées par les corporations.

  • Mais c’est le fameux Turgot, par un édit du 13 septembre 1774, qui va, le premier, poser le principe d’une liberté économique en matière de commerce de grains, appliquant pour la première fois la formule de ses amis physiocrates, le « laissez faire, laissez passer ».
  • Toutefois, le véritable principe d’une liberté du commerce et de l’industrie sera posé par la loi des 2-17 mars 1791, dite décret d’Allarde, qui stipule qu’il
    sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon… [6].
  • Et quelques semaines plus tard, une autre loi, la loi Le Chapelier des 14-17 juin 1791, viendra compléter ce dispositif en prohibant le régime des corporations.

**Deux principes : libre-entreprise et libre-concurrence

Comme telle, la liberté du commerce et de l’industrie apparaît comme ayant un double contenu :

  • la libre-entreprise d’une part et
  • la libre concurrence, d’autre part.

I) Le principe de libre-entreprise se subdivise lui-même en deux sous-volets :
1.1 - la liberté d’établissement ou d’installation, qui est conçue comme le libre accès par les citoyens à l’exercice de toute activité professionnelle ;
1.2 - la liberté d’exercice ou d’exploitation, qui permet à l’individu de gérer l’entreprise à son gré, de conclure les contrats qu’il veut, de fixer ses prix, de faire concurrence…

II) Le principe de libre-concurrence — corollaire du précédent et caractéristique des systèmes économiques libéraux — comporte lui-aussi deux aspects :
2.1 - le principe de libre choix des moyens nécessaires pour faire concurrence ou libre-choix de gestion (choix de la politique des prix, des moyens de publicité…) et
2.2 - le principe d’acceptation des risques nés des mises en situation de concurrence (perte de clientèle, perte de chiffre d’affaires…)

Bien sûr, ces libertés ne sont pas sans limite (l’ouverture de certains établissements peut être interdite ou soumise à autorisation, à des conditions d’aptitude professionnelle…) et la concurrence déloyale est sanctionnée par l’État qui doit veiller à l’intégrité du marché.

Le principe de la liberté d’exercice (ou de la liberté du travail)

En ce qui concerne le principe 1.2 de liberté d’exercice ou d’exploitation — ou principe de liberté du travail qui découle du principe de liberté économique —, celui-ci est devenu essentiel tant la place du travail est devenue centrale dans les sociétés actuelles. Il comprend deux droits essentiels.

  • Le premier est le droit au travail, conçu comme le droit de tous de vivre des ressources nécessaires procurées par le travail. Ce droit suppose la liberté du choix de l’emploi, en fonction de ses désirs et de ses aptitudes, ainsi que la stabilité de l’emploi, garantie notamment au salarié du secteur privé par le versement des indemnités de licenciement.
  • Le second volet est celui du droit à l’emploi, conçu comme le droit d’exiger de l’État qu’il mène les politiques nécessaires (en matière de formation, par exemple) afin que chacun ait un emploi.

On pourrait citer ici encore d’autres libertés du travail : liberté syndicale, droit de grève et libertés des travailleurs dans l’entreprise.

Telle est la panoplie à peu près complète des libertés économiques et sociales (à laquelle il faudrait néanmoins ajouter le droit de propriété) prônées par le système économique libéral. Voilà pour la théorie, donc. Mais qu’en est-il en pratique de cette matriochka de libertés ?

Et qu’en est-il en pratique ?

**Sur le papier : aucune compétence exigée…

Commençons notre réflexion par la première d’entre elles : la liberté d’installation, au terme de laquelle tout individu peut choisir la nature de l’activité qu’il veut exercer.
En théorie, la formule est parfaitement vraie : nul besoin de diplôme ni de qualification pour créer une société, nul besoin même de capacité puisqu’un mineur ou un majeur protégé peuvent être associés d’une société ! Ainsi, un nourrisson peut-il revêtir la qualité d’actionnaire et il n’y a bien que le majeur sans protection qui en soit écarté !
Voilà pour les compétences, mais qu’en est-il du capital ?

**et aucun capital exigé…

Le constat est le même depuis que le législateur a créé la fameuse société à un euro qui est aujourd’hui la règle absolue à l’exception près de la SA (société anonyme qui requiert, mais pour combien de temps encore, un capital minimum de 37 000 euros).

**… mais un parcours semé d’embûches

Ainsi, la création d’une société ne requerrait-elle aucune compétence, aucune qualification ni diplôme particulier et serait offerte à toutes les couches de la population, même aux moins possédants. Pourtant, elle est un parcours semé d’embûches :

  • isolement du créateur,
  • difficultés de financement [7] (la suppression du capital minimum, gage du créancier, ayant notamment réservé le financement bancaire des entreprises aux seuls entrepreneurs capables d’offrir les garanties — cautionnements, hypothèques — réclamées par les banques),
  • absence d’accompagnement [8],
  • importance des risques [9],
  • plafonnement du financement participatif [10].

**Un taux d’échecs considérable

La résultante en est un taux de mortalité considérable : 50 % des entreprises créées disparaissent avant d’atteindre leur sixième année d’existence [11], car seule une minorité d’hommes et de femmes sauront déjouer les très nombreux pièges de ce labyrinthe qu’est la création d’entreprise en France [12]. L’entreprise pour tous, c’est finalement l’entreprise pour quelques-uns [13].
Pourtant, en droit, toute entité exerçant une activité économique est considérée comme une entreprise et seul le groupe professionnel est en capacité de permettre l’adéquation de la réalité au droit.

Et le principe de libre choix des moyens (ou liberté de gestion) ?

La liberté d’exploitation, ou liberté de gestion, est conçue comme la liberté pour l’individu de gérer à son gré l’entreprise. Pourtant, la conduite d’une entreprise nécessite des qualités réelles, et l’exercice des droits des associés de réelles aptitudes, qui lorsqu’elles sont absentes conduisent à la constitution, au sein des sociétés de directions-tours d’ivoire placées aux mains d’hommes, moins de femmes, issus des mêmes formations et concentrant la totalité des pouvoirs [14].

Combien y a-t-il d’assemblées dans lesquelles les associés, peu au fait des questions extraordinairement complexes abordées, n’osent avouer qu’ils ne comprennent rien aux points qui sont exposés devant eux à grand coups de PowerPoint sonorisés, dans un jargon qui leur est totalement hermétique, et qui acquiescent sans comprendre aux questions qu’on leur pose ? Quand, de guerre lasse, ils ne finissent pas par s’assoupir dans la douce torpeur des salons dorés dans lesquels on les convoque, tels des aveugles et sourds à une séance de cinéma ? … Tous les juristes d’affaires connaissent ces bataillons d’associés-potiches qui ne sont là que pour le decorum et qui ne se déclarent compétents que pour débattre de points sans réelle importance pour l’entreprise.

Dire que l’assemblée des actionnaires est l’organe suprême du pouvoir dans le fonctionnement démocratique d’une société est à peu près aussi idiot que d’affirmer que c’est le peuple qui détient le pouvoir dans une république ! Au contraire, le capitalisme est, en France, à ce point endogame que les Anglo-Saxons le taxent du terrible qualificatif « consanguin [15] ! » En 2010, 43 % des droits de vote dans les conseils d’administration du CAC 40 n’étaient-ils pas aux mains d’une centaine de personnes [16] ?

Autant dire que dans ces sociétés les décisions sont prises par les mêmes personnes, peu ou prou. Et ce n’est pas la présence homéopathique des administrateurs salariés qui y changera quelque chose [17]. Que dire de l’opacité des pratiques, des dérives, de la primauté des intérêts privés…

Non ! Seule l’intelligence collaborative à l’œuvre dans les groupes professionnels peut mettre fin à la sclérose généralisée de la gouvernance des entreprises françaises.

Quant au principe de libre concurrence…

Au chapitre de la libre-concurrence et donc aussi du libre choix des moyens nécessaires à son exercice, il faut relever l’extraordinaire mouvement de concentration qui frappe les entreprises et qui fait que, dans leur grande majorité, celles-ci sont détenues par une minorité…
Selon une enquête réalisée par l’INSEE :

l’essentiel de l’activité économique des secteurs principalement marchands est porté par un nombre restreint d’entreprises. En 2013, sur les 3,3 millions d’entreprises, 3 000 concentrent 52 % de la valeur ajoutée, 70 % des investissements et 83 % des exportations [18].

Une telle concentration économique, autour de 3 000 entreprises, est un problème pour l’économie française et traduit une excessive protection des firmes transnationales. En effet, la concentration de l’activité économique entraîne une élévation de la profitabilité et crée pour les entreprises qui en profitent un effet de rente hautement nuisible au fonctionnement global de l’économie. Le même phénomène s’observe d’ailleurs aux États-Unis. Ainsi, une note du Conseil économique de la Maison Blanche met-elle en lumière dans ce pays une élévation de la concentration des entreprises, entre 1997 et 2012, dans de très nombreux secteurs [19] : transports, commerce de détail, finance… Avec, dans le même temps, une concentration des profits.

Lorsque, jusqu’en 1990, 10 % d’entreprises les plus rentables avaient un taux de rentabilité seulement deux fois supérieur à la rentabilité médiane, ce rapport, à peu près stable depuis vingt-cinq années, a littéralement explosé pour être multiplié par cinq. Quand, dans le même temps, le taux de création d’entreprises diminue. Ces deux derniers facteurs traduisent l’augmentation du pouvoir de marché des entreprises existantes et des barrières mises à l’entrée des entreprises nouvelles.

Cette plus forte concentration entraîne, bien sûr, une augmentation des prix pour les consommateurs, mais aussi une réduction des incitations à l’innovation, ce qui pèse sur la croissance de la productivité. Finalement et contre toute attente, la libre concurrence aboutit à favoriser les entreprises concentrées qui produisent en grandes séries pour des prix de revient particulièrement bas et dont les facultés d’obtention de crédit sont très élevées. Ainsi que le faisait remarquer John Hicks :

le meilleur des bénéfices d’un monopole est la tranquillité [20].

La seule manière de stopper ce mouvement de concentration est la constitution de groupes professionnels.

Une acceptation des risques quasi inexistante

Le principe d’acceptation des risques est en voie de disparition. En effet, le législateur a, progressivement, réduit de manière très importante les garanties des créanciers de l’entreprise par les mécanismes d’insaisissabilité de la résidence principale, puis de tous les biens immeubles non affectés à l’activité. Il en est résulté :

  • d’une part, une extrême frilosité des banques dans l’exercice de la fonction de crédit à l’égard des entreprises et,
  • d’autre part, le développement hyperbolique des financements publics, transférant le risque d’entreprise sur la collectivité.

Mutualisées entre tous les membres de la collectivité, les conséquences du risque d’entreprise finissent par ne plus peser sur personne, ce qui génère une augmentation des conduites à risque dans un contexte d’endettement public stratosphérique. Constituée à l’aide des fonds de l’État, l’entreprise n’engage plus les propres fonds de son créateur. Ceci d’autant plus qu’en cas de liquidation, l’impossibilité de comblement du passif se répartit entre tous les créanciers, spécialement les créanciers chirographaires (sans garantie) qui généralement ne recouvreront jamais leurs créances, enchaînant faillites en effet domino.

Dans le même temps, la responsabilité du chef d’entreprise se réduit comme peau de chagrin : par la délégation, qui l’exonère totalement en matière pénale [21], mais uniquement dans les grandes entreprises comme l’affirme le ministère du Travail [22] ; en matière civile et par la loi (celle par exemple du 9 décembre 2016 [23], qui encadre la définition de la faute de gestion, la simple négligence dans la gestion de la société n’étant plus qualifiée de faute de gestion), sans compter la multiplication des contrats d’assurance Responsabilité civile dirigeant.
Finalement, l’engagement du dirigeant est réduit, le risque d’entreprise finit par ne plus peser plus sur lui. Sa conduite s’en ressent, obligatoirement, et celle de ses partenaires internes (salariés) comme externes (clients, fournisseurs) aussi. Finalement, c’est l’ensemble des acteurs qui perdent confiance.

Seul le groupe professionnel, par les garanties qu’il offre, est à même de restaurer cette confiance.

Échec de l’orientation professionnelle

Pour ce qui concerne la liberté du choix de l’emploi, c’est toute une batterie de mesures que la République entend mettre en avant en matière de choix d’orientation des élèves [24] :

  • parcours « Avenir », inscrit dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, constitué d’un dialogue régulier entre les élèves, les parents, les enseignants, les conseillers d’éducation, la direction des établissements et les conseillers d’orientation et psychologues… ;
  • orientation active conçue comme une démarche de conseil et d’accompagnement des futurs étudiants par les universités, leurs enseignants-chercheurs, en coordination avec les proviseurs de lycée et leurs équipes éducatives… ;
  • stages au lycée professionnel censés permettre aux élèves de mettre en application leurs connaissances acquises dans le cadre de leur diplôme et les confronter à la réalité professionnelle de leur spécialité, tout en développant de nouvelles compétences professionnelles et personnelles propres au monde de l’entreprise.

En dépit de tous ces efforts, le constat est alarmant : selon une étude publiée par France Stratégie en janvier 2017 [25] :

  • Près de quatre étudiants sur dix se réorientent après la première année d’étude
    supérieure.
  • C’est 20 % des étudiants ayant commencé des études supérieures qui en sortent sans avoir obtenu de diplôme, soit 75 000 jeunes par an !
  • Après une première année de licence, c’est à peine plus de quatre étudiants sur dix (40 %) qui accèdent à l’année supérieure.
  • La proportion des étudiants abandonnant leur formation après une ou deux années d’études est forte : ce sont 32 % des bacheliers généraux, 70 % des bacheliers technologiques et jusqu’à 84 % des bacheliers professionnels qui abandonnent leur cursus au bout d’un ou deux ans.

En parallèle, les résultats d’une étude menée par le ministère de l’Éducation et de la Recherche montrent que parmi les 52 % d’étudiants de première année d’université qui ne poursuivent pas en 2e année, ce sont 30 % qui redoublent, 16 % qui se réorientent et 6 % qui abandonnent leurs études [26].

La mauvaise orientation scolaire est la première responsable de ces chiffres alarmants [27]. L’Éducation nationale compte quelque 3768 conseillers psychologues, soit environ un pour 1415 élèves dans l’enseignement secondaire.
Selon les chiffres de la plateforme tonavenir.net spécialisée dans l’orientation des élèves, ce serait 80 % des étudiants qui estimeraient s’être trompés d’orientation. Car dans le maquis des écoles et des universités, des diplômes et des formations, seule une infime minorité d’entre eux parvient à tirer son épingle du jeu [28]. Égalité oblige, sans doute !

Tout au long de la scolarité des élèves, selon la dirigeante de la plateforme, Sophie Laborde-Balen [29] :

il est peu fait cas de l’adéquation entre le profil du jeune et la voie qu’il a choisie. D’une part, il ne relève pas des compétences des professeurs de connaître les filières. Légitimement leur avis est académique et se base essentiellement sur les notes. D’autre part, les conseillères et conseillers d’orientation dans les établissements sont bien souvent en sous-effectif pour pouvoir dispenser des conseils sur mesure et personnalisés à tous les jeunes — quand ces derniers arrivent jusqu’à leur porte, car les consultations sont volontaires…

Seule la reconnaissance mutuelle entre l’élève et son futur maître permise au plus tôt par les groupes professionnels permettrait de s’assurer d’une réelle bonne orientation des jeunes Français, et par là même de la mobilité sociale indispensable au développement de notre pays [30]. L’Allemagne ne s’y est d’ailleurs pas trompée…

Le droit à l’emploi ?

Enfin, concernant le droit à l’emploi, conçu comme le droit d’exiger que l’État mette en place les politiques nécessaires pour que chacun puisse occuper un emploi, et son corollaire, le droit à la stabilité de l’emploi, il est peu de dire que, depuis quarante ans, les politiques menées en matière de lutte contre le chômage, tant au niveau de la République que de l’Union européenne, ont toutes lamentablement échoué [31] : tout a été essayé mais rien n’y a fait et ce ne sont pas les solutions éculées que les candidats à l’élection présidentielle proposent, ni le recours ahurissant à la planche à billets par la BCE [32]. qui y changeront quelque chose…
Seule la croissance est capable de créer l’emploi, et seul un juste partage des richesses considérables produites par le capitalisme [33], allié à la recherche constante de la qualité de la production sont susceptibles de ramener la croissance en France. Or, seuls les groupes professionnels peuvent induire une telle répartition.

Royale conclusion

L’on peut voir aisément que, contrairement à ce qu’écrivait Smith, la recherche de la maximisation de leur propre bien-être par les individus conduits par la main invisible ne participe pas au bien de la société tout entière. Au contraire, c’est lorsque les personnes sont conduites par une main juste, une main de justice qu’ils réalisent le plus grand bien. Et cette main de justice, la France en bénéficie, c’est celle de son roi, c’est celle de Sa Majesté Louis de Bourbon. Vive le roi !

Pour en savoir plus sur le modèle social des corps de métier


[1A. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris, Guillaumin, 1843, p. 35.

[2M. Chevalier, Étude sur Adam Smith et sur la fondation de la science économique, Paris, Guillaumin, 1874, t. 2, p. 15.

[3E. Daire, Physiocrates : Quesnay, Dupont de Nemours, Mercier de la Rivière… , Paris, Guillaumin, 1846, t. 1, p. 101.

[4P. Rosanvallon, Le libéralisme économique, Paris, Le Seuil, coll. Points, 1989, p. 82.

[5R. Dehem, Histoire de la pensée économique : des mercantilistes à Keynes, Québec, Dunod, 1984, p. 81.

[6Loi du 17 mars 1791 portant suspension de tous les droits d’aides, de toutes les maîtrises et jurandes et établissement des droits de patente. Article 7.

[7F. Villeroy de Galhau, « Le financement de l’investissement des entreprises », 2015, www.gouvernement.fr.

[8Voir aussi « Les six freins à la création d’entreprise », 16/04.2014, www.petite-entreprise.net

[9« Difficultés liées à la création d’entreprise », 26/11/2013, http: //blog.particeep.com

[102,5 millions d’euros. Décret n° 2016-1453 du 28 octobre 2016 relatif aux titres et aux prêts proposés dans le cadre du financement participatif.

[11« Les chiffres clés des entreprises en France », 12/03/2016, http: //1001startups.fr

[12G. Bertholet, Le petit livre rouge de la création d’entreprise, Eyrolles, 2015.

[13Selon l’indice entrepreneurial français 2016 : moins d’un Français sur trois de plus de 18 ans s’est engagé, à un moment ou à un autre, dans une démarche entrepreneuriale. www.afecreation.fr

[14X. Camby, « Management à la française : le mirage d’une méritocratie sapée par la consanguinité », 04/04/2017, www.atlantico.fr

[15Voir récemment, L. Mauduit, L’étrange capitulation, Paris, Don Quichotte, 2015.

[16A. Kahn, « Le capitalisme français reste aux mains d’un club très fermé », Le Monde, 11/01/2010.

[17Article L225-27-1 du Code du commerce.

[18H. Bacheré, « 3 000 entreprises au cœur de l’économie française », INSEE, Focus n° 56,15/03/2016.

[19« Council of Economic Adviser Issue Brief, Benefits of competition and indicator of market power », avril 2016, https: //obamawhitehouse.archives.gov

[20J. R. Hicks, Annual survey of economic theory : The theory of monopoly, Econometrica, Volume 3, n° 1, janvier 1935, p. 8.

[21Articles 121-3 du Code pénal et L. 4741-1 du code du travail.

[22« La responsabilité du dirigeant », Agence France entrepreneur. www.afecreation.fr/pid14216/la-responsabilite-du-dirigeant.html

[23Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

[24Sur le site du ministère de l’éducation nationale : www.education.gouv.fr/pid24223/orientation-au-college.html

[25« La transition lycée-enseignement supérieur ». France stratégie, janv. 2017.

[26Disponible sur le site « Nouvelle université au service de l’égalité des chances ».

[27T. Debarnot, « Réinventons l’orientation scolaire », Les Échos.fr, 20/02/2017.

[28A. Collas, « La réussite des enfants de profs, une histoire d’emploi du temps », Le Monde, 29/10/2015.

[30N. Chalon, « Le mauvais procès de l’apprentissage », Le nouvel Économiste, 20/10/2016.

[31« Emploi et territoires », rapport de l’Observatoire des territoires 2016, mis à jour au 02/01/2017.

[32O. Petitjean, « Quand la BCE fait tourner sa planche à billets pour les multinationales et les énergies fossiles », Observatoire des multinationales, 14 décembre 2016, www.multinationales.org

[33J. E. Stiglitz, Le prix de l’inégalité, Paris, Actes Sud, 2014.