Les messages du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie pour Louis XIV

Les messages du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie pour Louis XIV Pour ne pas trahir une grande dévotion

Les messages du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie pour Louis XIV font toujours couler beaucoup d’encre et suscitent bien des interrogations. Pourquoi le Roi n’a-t-il pas répondu aux demandes du Ciel rapportées par la religieuse de Paray-le-Monial ? Comment, et surtout quand ces messages ont-ils été connus ? Comment se fait-il que leurs apologistes soient précisément les détracteurs les plus acharnés du Roi, et rejettent-ils sur le « fils aîné du sacré Cœur » — comme les Messages le nomment d’emblée et avant toute demande —  l’entière responsabilité de la Révolution pour ne pas avoir obéi ?

Texte des messages à Louis XIV

Date de la première publication des messages

Sainte Marguerite-Marie (1647-1690) est une religieuse française connue comme apôtre de la dévotion au Sacré-cœur dont elle a eu plusieurs fois l’apparition. Elle est béatifiée en 1864.
En 1867, ses écrits sont publiés pour la première fois dans le livre Vie et œuvres de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque (publication du Monastère de la Visitation de Paray-le-Monial.) Par commodité, nous appellerons ce livre : Vie et œuvres.
Les textes des fameux messages à Louis XIV, que nous reproduisons ici, sont tirés de la troisième édition (1915) de Vie et œuvres, complétée de nombreuses notes par Mgr Gauthey, archevêque de Besançon.

Premier message daté de juin 1689 par Vie et œuvres

Mais il ne veut pas s’en arrêter là : il a encore de plus grands desseins qui ne peuvent être exécutés que par sa toute-puissance, qui peut tout ce qu’elle veut.
Il désire donc, ce me semble, entrer avec pompe et magnificence dans la maison des Princes et des Rois, pour y être honoré autant qu’il y a été outragé, méprisé et humilié, en sa Passion et qu’il reçoive autant de plaisir de voir les grands de la terre abaissés et humiliés devant lui, comme il a senti d’amertume de se voir anéanti à leurs pieds.
Et voici les paroles que j’entendis au sujet de notre roi :

« Fais savoir au fils aîné de mon sacré Cœur, que, comme sa naissance temporelle a été obtenue par la dévotion aux mérites de ma sainte Enfance, de même il obtiendra sa naissance de grâce et de gloire éternelle par la consécration qu’il fera de lui-même à mon Cœur adorable, qui veut triompher du sien, et par son entremise de celui des grands de la terre. Il veut régner dans son palais, être peint dans ses étendards et gravé dans ses armes, pour les rendre victorieuses de tous ses ennemis, en abattant à ses pieds ces têtes orgueilleuses et superbes, pour le rendre triomphant de tous les ennemis de la Sainte Église. »

Vous aurez sujet de rire, ma bonne Mère, de ma simplicité à vous dire tout cela, mais je suis le mouvement qui m’en est donné au même instant. Notre bon Père de La Colombière a obtenu que …
(Vie et œuvres de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, 3e édition, tome II, 1915, Lettre C, pp. 435-436. Publié par les soins de Mgr Gauthey, archevêque de Besançon.)

Second message daté du 28 août 1689 par Vie et œuvres

Le Père éternel voulant réparer les amertumes et angoisses que l’adorable Cœur de son divin Fils a ressenties dans la maison des princes de la terre, parmi les humiliations et les outrages de sa Passion, veut établir son empire dans le Cœur de notre grand monarque, duquel il se veut servir pour l’exécution de ce dessein qu’il désire voir s’accomplir en cette manière, qui est de faire faire un édifice où serait le tableau de ce divin Cœur pour y recevoir la consécration et les hommages du roi et de toute la cour.
De plus, ce divin Cœur se veut rendre protecteur et défenseur de sa sacrée personne, contre tous ses ennemis visibles et invisibles, dont il le veut défendre, et mettre son salut en assurance par ce moyen ; c’est pourquoi il l’a choisi comme son fidèle ami pour faire autoriser la Messe en son honneur par le Saint-Siège apostolique, et en obtenir tous les autres privilèges qui doivent accompagner la dévotion de ce sacré Cœur, par laquelle il lui veut départir les trésors de ses grâces de sanctification et de salut,
en répandant avec abondance ses bénédictions sur toutes ses entreprises, qu’il fera réussir à sa gloire,
et donnant un heureux succès à ses armes, pour le faire triompher de la malice de ses ennemis.
Heureux donc qu’il sera, s’il prend goût à cette dévotion, qui lui établira un règne éternel d’honneur et de gloire dans ce sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel prendra soin de l’élever et le rendre grand dans le ciel devant Dieu son Père, autant que ce grand monarque en prendra de relever devant les hommes les opprobres et anéantissements que ce divin Cœur y a soufferts ; qui sera en lui rendant et lui procurant les honneurs, l’amour et la gloire qu’il en attend.
(Vie et œuvres, tome II, 3e édition, 1915, Lettre CVII, pp. 454-455. Publié par les soins de Mgr Gauthey, archevêque de Besançon.)

Brève analyse des messages

À la lecture de ces textes — et même si leur contenu présente un doute (« ce me semble ») —, on reste confondu devant l’amour que le Sacré-Cœur manifeste pour la personne de Louis XIV :
• Avant toute consécration, il est déjà assuré d’être le « fils aîné du sacré Cœur », le « fidèle ami » de Dieu.
• Le « grand monarque » est l’élu de Dieu, et, tout comme les rois de l’Ancien Testament, les ennemis personnels du Roi sont ceux de Dieu :
– « ce divin Cœur se veut rendre protecteur et défenseur de sa sacrée personne, contre tous ses ennemis visibles et invisibles, dont il le veut défendre […] »
– Placer le Sacré-Cœur sur ses armes permettra à Louis XIV de « le faire triompher de la malice de ses ennemis » et même de les humilier, car ses armes seront « victorieuses de tous ses ennemis, en abattant à ses pieds ces têtes orgueilleuses et superbes, pour le rendre triomphant de tous les ennemis de la Sainte Église. »
• Louis XIV est missionné par le Sacré-Cœur pour commander au Pape de faire autoriser la messe en son honneur : « [ce divin Cœur] l’a choisi comme son fidèle ami pour faire autoriser la Messe en son honneur par le Saint-Siège apostolique. »
• Plus encore, sa récompense sera une immense gloire, « sa naissance de grâce et de gloire éternelle » ; cette dévotion « lui établira un règne éternel d’honneur et de gloire ».

Nous aimons beaucoup Louis XIV, et le récent ouvrage d’Alexandre Maral met en pièces sa légende noire forgée par le XIXe siècle, mais nous n’irons jamais jusqu’à affirmer — même s’il manifeste beaucoup de qualités par ailleurs — que la modestie et la discrétion sont prédominantes chez le grand roi. À la suite de la guerre de Hollande de 1678, Louis XIV devient le souverain le plus puissant d’Europe, et dans le contexte international très tendu de l’époque — où la France est en guerre contre une bonne partie du Continent (guerre de Neuf Ans) —, on imagine la stupéfaction des autres rois, des chancelleries, et celle du Pape (qui ne passe pas pour être son ami), devant un Louis XIV leur enjoignant de se soumettre, car il est le « fils aîné du sacré Cœur ».

Plus encore ! Passant sur le fait qu’aucun écrit de l’époque ne relate ces messages, on imagine surtout le courroux du Pape devant le scandale d’un monarque s’octroyant le pouvoir de reconnaître une apparition privée, et empiétant ainsi un domaine qui relève de l’exclusive compétence de l’Église.
Dès lors, comment ces textes extraordinaires sont-ils concevables ?

Critiques des messages par des religieux

Remarquons préalablement que les deux messages précédents n’ont été publiés et connus du public qu’en 1867 — soit 178 ans après leur rédaction supposée — avec la première édition de Vie et œuvres !

Mgr Demimuid (1839-1916) et l’abbé Boulin (1875–1933) déplorent le manque de documents

Mgr Demimuid — biographe autorisé de sainte Marguerite-Marie — dans le livre La Bienheureuse Marguerite-Marie : (1647-1690), déplore l’absence d’informations sur la date précise du Message qu’il situe, quant-à lui, en 1688 :

Nous ignorons la date précise de cette révélation […] Mais ce que nous savons, c’est qu’un jour de 1688, peut-être au mois de juin, peut-être un peu plus tard, Notre-Seigneur, après avoir rappelé à la Bienheureuse son désir de voir se répandre partout la dévotion à son divin Cœur et renouvelé ses promesses en faveur de ceux qui répondront à son appel, lui dit « qu’il ne veut pas s’arrêter là… 1 »

Or, Vie et œuvres date cette lettre de juin 1689 ! Plus loin, Mgr Demimuid s’étonne :

Ce message fut-il porté à Louis XIV ? Ce qui est certain, c’est que, pour le moment, il n’éveilla aucun écho perceptible à Versailles, pas plus, d’ailleurs, que dans l’entourage immédiat de la Bienheureuse. Dans la lettre où elle fait le récit qu’on vient de lire et qu’elle adresse à son ancienne supérieure, la Mère de Saumaise, demeurée sa confidente et devenue l’une des plus ardentes zélatrices du Sacré-Cœur, Marguerite-Marie lui disait :

« Vous aurez sujet de rire, ma bonne Mère, de ma simplicité à vous dire tout cela. »

Nous ne savons si la Mère de Saumaise fut tentée de rire en lisant les confidences de sa chère correspondante, mais elle commença par ne pas lui répondre, et les Contemporaines, dont le Mémoire est si abondant en détails de toute sorte, particulièrement sur ce qui touche au Sacré-Cœur, ne font pas la moindre allusion à un si remarquable événement2.

L’abbé Paul Boulin, membre éminent du réseau de renseignement traditionaliste La Sapinière mis en place sous saint Pie X, renchérit :

Il est assez remarquable d’abord que les premiers historiens de la Bienheureuse Marguerite-Marie parlent peu ou prou du célèbre Message, qui accapare aujourd’hui l’attention publique. Languet, évêque de Soissons et académicien, le meilleur des biographes anciens de la Voyante, y fait à peine, en 1729, une allusion d’ailleurs contestable ; et jusqu’à ces dernières années, il n’était aucun auteur grave qui n’admit l’incertitude et l’imprécision des origines3.

L’abbé Paul Boulin pose la question de l’authenticité des messages

À partir de 1867, les biographies de la Bienheureuse feront référence aux deux messages de Vie et œuvres sans plus se poser la question de l’authenticité des sources. L’abbé Paul Boulin — l’un principaux érudits qui collaboraient à la Revue Internationale des Sociétés Secrètes de Mgr Jouin — s’est penché sur la question en 1920. Critiquant le livre d’un prêtre, le Père Hamon, il écrit :

L’authenticité même des textes de la Bienheureuse prête à la discussion.
Les deux passages de 1689-90, cités plus haut, et qu’on invoque à grands cris en faveur du Drapeau national du Sacré-Cœur, ne figureraient pas, dit-on*, dans la traduction italienne, seule authentique, du procès de Béatification de la Bienheureuse en 1864. Ils n’ont donc même pas l’espèce d’approbation négative que les autres Lettres de la voyante ont reçue de l’Église, après examen autorisé.
— Au surplus, les originaux de ces deux Lettres sont perdus. Il n’en reste que des copies — trois — qui présentent des divergences assez graves.
Le R.P. Hamon promet de tout expliquer plus tard et veut croire absolument, dans la circonstance, à la scrupuleuse fidélité des copistes. Mais lui-même rapporte un peu plus loin, pour résoudre dans le sens opposé une autre difficulté, l’opinion de Mgr Gauthey sur l’état et la valeur de ces manuscrits de seconde main, la main fut-elle pieuse :

« On transcrivait en entier ou par morceaux, les lettres et les autres pièces, le plus souvent sans ordre chronologique et sans dates précises.
On rapprochait les fragments de divers écrits sur le même sujet.
Comme cela se faisait sans méthode, chaque recueil présente des arrangements différents.
En outre, on ne tenait pas à une exactitude minutieuse, on ne craignait pas de faire çà et là des coupures et de remplacer des expressions et des formules qu’on jugeait moins heureuses par d’autres estimées meilleures par les copistes, qui allaient ainsi, compilant selon leur attrait et démarquant les pièces inconsciemment. »

(Vie et œuvres, édition Gauthey, t. II, 3e édition, 1915, p. 6.)4

Dès lors, conclut, à bon droit, le P. Hamon,

« il est facile de voir avec quelle discrétion il faut se servir de ces copies, là où il est impossible de les contrôler par d’autres copies ou par des autographes. »

Et il donne intrépidement la genèse des versions qu’on nous sert.

« La lettre du mois de juin 1689, Ce de l’édition de Mgr Gauthey, nous a été conservée en entier par les manuscrits 3, 8, 9 et par le manuscrit de Roanne, en partie par le manuscrit 6 et la traduction italienne. Le Message manque dans ces deux dernières pièces ;
la lettre d’août 1689 se trouve dans le manuscrit 6, dans le manuscrit 8, dans le recueil de Nevers et dans le manuscrit de Roanne5. »

Ces copies peuvent être « sérieuses » ; « peut-être, elles ne nous permettent pas toujours d’affirmer que tel ou tel mot est bien celui dont elle (la Bienheureuse) se servit ». Et comme nous ne pouvons affirmer davantage que tel mot ou tel autre dont elle se sert est bien celui-là même qu’a employé Notre-Seigneur, voilà déjà beaucoup de doutes, en une affaire qu’on voudrait sans ombre.
Supposons-nous obligés enfin de reconnaître que les copies en cours nous ont bien transmis, dans ses parties essentielles, la pensée de la Bienheureuse. L’Église, en reconnaissant la sainteté de Marguerite-Marie, ne s’est portée d’aucune façon, directe ou indirecte, comme garante de ces révélations ni de ces visions. Elle nous laisse parfaitement libres d’en discuter l’authenticité, la valeur et la portée, selon les règles ordinaires de la critique6.

* Lorsque l’abbé Boulin affirme que la traduction italienne — qui seule importe au procès de béatification — ne contient pas les deux fameux messages, il s’appuie sur la note de bas de page de la troisième édition de 1915 du livre Vie et œuvres. Dans cette note — qui ne figurait pas dans les deux premières éditions de 1867 et de 1876 — Mgr Gauthey prévient en effet, juste avant les messages :

Le fragment qui suit jusqu’à : « notre bon Père de La Colombière » ne se trouve ni dans le Ms. 6 ni dans la traduction italienne. Nous le laissons subsister dans le texte, parce qu’il est donné uniformément par nos trois manuscrits nos 3, 8 et 9. Il est fort important et l’on comprend qu’on ait pu avoir des raisons de ne pas le produire d’abord. Nous sommes portés à croire qu’on la supprimé à dessein dans le Ms. 6, transcrit sur les originaux et dans la copie authentique sur laquelle a été faite la traduction italienne. Cette observation s’applique également au morceau de la lettre 97e où il est dit que la dévotion au sacré Cœur se fera recevoir avec le temps dans le palais des grands.
(Vie et œuvres, tome II, 3e édition, 1915, Lettre C, p. 435 en note de bas de page.)

EN RÉSUMÉ :
— Les originaux des deux messages, qui auraient été écrits de la main de la Sainte, ont disparu.
— On ne dispose que de copies …, divergentes !
— Ces copies n’ont pas été transmises au procès de béatification de Marguerite-Marie (la version italienne, document de base du procès, ne les mentionne pas), donc elles ne jouissent même pas de la garantie de ne pas constituer un obstacle à la Foi.

L’abbé Boulin en appelle à la prudence sur le contenu du Message

Même en admettant, malgré la disparition des originaux, que la sainte a bien écrit les deux messages, l’abbé Boulin en appelle à la prudence :

La Bienheureuse Marguerite-Marie, en particulier, a certainement été un admirable instrument, providentiellement choisi de Dieu, pour la propagation de la dévotion au Sacré-Cœur. Mais jusqu’où s’étendit exactement sa Mission ?
Ne se glisse-t-il jamais, parmi les Messages qu’elle nous a transmis,
— de simples vœux de son cœur qu’il ne faut pas confondre avec les désirs du Cœur divin,
— des inspirations personnelles qu’elle a prises pour des illuminations d’En Haut,
— des suggestions de son entourage qu’elle a confondues avec les demandes de son divin Maître,
— des demandes enfin qu’elle nous donne ou que nous acceptons par mégarde pour des réponses ?
La passion, légitime, sans doute, mais violente qui nous soulève, en des jours comme ceux-ci, nous porte trop à tout acclamer, avec plus d’enthousiasme que de réflexion, de ce qui flatte nos âmes encore frémissantes au sortir des batailles [L’auteur évoque ici la 1re Guerre mondiale (Note de VLR)]. Et c’est pourquoi il est nécessaire de redoubler de sang-froid, en face d’un problème aussi épineux que celui de certaines promesses, susceptibles d’entretenir nos préjugés plutôt que de former nos consciences.
Il a été lancé à tort et à travers, trop de choses contestables en ces matières, pour qu’on ne s’explique pas le mouvement de recul et de méfiance des organes autorisés du magistère ecclésiastique, en face d’un aveugle engouement.
Prenons un des défenseurs les plus enthousiastes du Message, le R.P. Auguste Hamon, S.J., qui cependant ne veut plus être que docteur ès lettres dans son Étude historique et critique sur le Message du Sacré-Cœur à Louis XIV, à la France. Lui-même est contraint d’avouer :

« La Bienheureuse n’est pas infaillible ; à mon humble avis, elle s’est même trompée certainement et dans des circonstances assez importantes sur les paroles qu’elle croyait entendre7 ».

Et il ne veut pas admettre ici, sans doute, une erreur. Mais peut-être tolérera-t-il que nous puissions être d’un autre avis, ou balancer tout au moins, sans mériter de voir traiter d’impies nos résistances.
S’il est un cas où l’on doive craindre et soupçonner un leurre, c’est bien celui-ci8.

Les réserves du Cardinal Billot

Dans une lettre parue dans le Figaro, le 4 mai 1918 le très traditionaliste cardinal Billot déclare :

Les révélations de la bienheureuse Marguerite-Marie concernant la France, ou plutôt le roi de France Louis XIV (car c’est lui que nous voyons constamment nommé dans les quatre lettres à la mère de Saumaise et au P. Croiset qui sont les seuls documents sur lesquels on s’appuie) ces révélations, dis-je, viennent-elles véritablement de Dieu ?
On serait fondé à en douter quand on met en regard, d’un côté, l’orgueil de Louis XIV, son insatiable ambition, ses guerres de conquête, son attitude si hautaine et si insolente vis-à-vis du Saint Siège, son rôle dans l’éclosion de la grande erreur gallicane dont il fut le premier auteur et le principal inspirateur* etc. et, de l’autre, des phrases comme celle-ci :

« Fais savoir au Fils aîné de mon Sacré-Cœur que mon cœur veut régner dans son palais, être peint sur ses étendards et gravé dans ses armes pour les rendre victorieuses de ses ennemis, en abattant ces têtes orgueilleuses et superbes, pour le rendre triomphant de tous les ennemis de la Sainte Église. »

Ne croirait-on pas qu’il s’agit d’un Charlemagne ou d’un Saint Louis, et que les ennemis du grand roi étaient précisément ceux du royaume de Dieu ? Et n’y a-t-il pas quelque chose de bien étrange dans cette idée du Sacré-Cœur abattant les têtes orgueilleuses et superbes au pied d’un homme plus superbe et plus orgueilleux encore ?
[…] J’ai crié gare à je ne sais quelle nouvelle forme de millénarisme sur la pente duquel nous mettent ces assurances de triomphe sur nos ennemis et sur ceux de la Sainte Église, ce pouvoir d’abattre à nos pieds ces têtes superbes et orgueilleuses des grands, ces abondantes bénédictions sur toutes nos entreprises, etc.
En vérité, ce n’est pas ce que semblent nous promettre les leçons du passé. Ce n’est pas ce que le Sacré-Cœur réservait à Louis XVI, à Garcia Moreno, aux héroïques Vendéens de la Rochejacquelin, de Charette, de Lescure, d’Elbée, de Cathelineau. Enfin, nous ne sommes plus des Juifs d’ancien Testament.
Chimères ! chimères ! chimères qui ont le grand tort de donner le change sur une dévotion admirable, tout entière orientée vers l’acquisition et l’union des vertus surnaturelles et vitam venturi sœculi.

* Nous ferons plus confiance au jugement théologique du cardinal Billot qu’à ses connaissances historiques qui sont celles du XIXe siècle. En effet, de nombreuses études ont depuis infirmé le portrait d’un Louis XIV gallican et systématiquement hostile à Rome. Actuellement, un catholique ne saurait sérieusement se poser en détracteur de Louis XIV sans réfuter au préalable l’ouvrage d’Alexandre Maral : Le Roi-Soleil et Dieu.

Conclusion

Au terme de cette petite étude, bien des certitudes sont ébranlées quant à l’authenticité même des deux messages que le Sacré-Cœur aurait adressés à Louis XIV.
Plusieurs questions restent maintenant en suspens :
— Quelle famille de pensée a-t-elle intérêt à répandre de tels textes qui font désormais, pour de nombreux catholiques, partie du corpus de la Foi ?
— La date tardive de leur publication est-elle anodine ?
— Que penser des apparitions de Loublande qui semblent les corroborer ? Quel est leur contexte ? Comment l’Église les juge-t-elle ?
— Quelles sont les sources de ce millénarisme dénoncé par le cardinal Billot ? millénarisme selon lequel, sans effort et par un processus quasi-magique, la simple apposition du Sacré-Cœur sur le drapeau tricolore de la Révolution française, permettrait à la « nation française élue de Dieu », de se redresser et d’humilier ses ennemis.
Autant de points qui feront l’objet de prochains articles.

Bibliographie

Brève bibliographie :
— Mgr « Demimuid », La Bienheureuse Marguerite-Marie : (1647-1690), Éd. Lecoffre-Gabalda, Collection Les saints, Paris, 1912.
— I. de Récalde [alias abbé Paul Boulin (1875-1933)]. Le message du Sacré-Cœur à Louis XIV et le P. de la Chaise, Éd. E. Chiron, Paris, 1920.
— Mgr Gauthey, Vie et œuvres de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, tome II, 3e édition, 1915.
— Alexandre Maral, Le Roi-Soleil et Dieu, Éd. Perrin, Paris, 2012.

  1. Mgr Demimuid, La Bienheureuse Marguerite-Marie : (1647-1690), Éd. Lecoffre-Gabalda, Paris, 1912.
  2. Mgr Demimuid. La Bienheureuse Marguerite-Marie : (1647-1690), Éd. Lecoffre-Gabalda, Paris, 1912.
  3. I. de Récalde (alias abbé Boulin), Le message du Sacré-Cœur à Louis XIV et le P. De La Chaise, Étude critique et historique, Éditions et librairie E. Chiron, Paris, 1920, p. 9.
  4. Le Message du Sacré-Cœur à Louis XIV, à la France, étude historique et critique, p.50.
  5. Id, p. 51.
  6. I. de Récalde [alias abbé Paul Boulin (1875-1933)]. Le Message du Sacré-Cœur à Louis XIV et le P. de la Chaise, Éd. E. Chiron, Paris, 1920, pp. 20-22.
  7. Auguste Hamon, docteur ès lettres, Le message du Sacré-Cœur à Louis XIV, à la France, Beauchesne, Paris, 1918, p. 34.
  8. I. de Récalde [alias abbé Paul Boulin (1875-1933)]. Le message du Sacré-Cœur à Louis XIV et le P. de la Chaise, Éd. E. Chiron, Paris, 1920, p.19,20.
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