Accueil > Études > Le testament de DRIEU LA ROCHELLE (1893-1945)

Le testament de DRIEU LA ROCHELLE (1893-1945)

Un auteur "anticonformiste" est-il toujours un bon auteur ?

vendredi 11 juillet 2008, par Vignerte

Que l’écrivain fasciste soit loué par des auteurs proches de la Nouvelle Droite, nul ne songerait à s’en étonner, mais qu’il trouve de la sympathie dans nos milieux sous prétexte d’anticonformisme, voilà une chose bien extraordinaire.

Je meurs dans la religion catholique, héritière beaucoup plus que la religion juive de la religion antique, grecque et aryenne. Je meurs antisémite (respectueux des Juifs sionistes) Je meurs maurrassien, avec le regret de n’avoir pas mieux servi Maurras et l’Action française. Que ne me suis-je rendu digne d’être le successeur de Maurras. Je crache sur le radicalisme et la franc-maçonnerie qui ont perdu la France.

Paris, 15 Septembre 1939 [1]

Quel étonnant document constitue ce Testament politique et religieux écrit par Drieu La Rochelle (1893-1945) six ans avant son suicide. En tant que légitimistes, il nous importe ici de manière secondaire que l’auteur de Gilles revendique un maurrassisme et un antisémitisme que nous ne partageons pas. Il est, en revanche, bien plus intéressant de nous interroger aujourd’hui sur ce que peut recouvrir la protestation de fidélité à la religion catholique d’un “romantique fasciste” non pratiquant, “écrivain maudit”, surtout connu pour ses engagements collaborationnistes lors de la dernière guerre et, accessoirement, pour son ostensible goût des plaisirs de la chair.

Extrait de son Journal, le Testament de ce “drôle de paroissien” est-il un simple épanchement littéraire emphatique ou l’expression d’une aspiration sincère à retrouver une vie meilleure ? Telle est la question qu’un lecteur naïf pourrait se poser. Assurément, le débat ainsi engagé ne mènerait à rien. L’explication de cet écrit doit impérativement se replacer dans le cadre plus général de conceptions dévoyées du catholicisme, propres à certains milieux nationalistes (même si Drieu était peut-être plus européiste que nationaliste).
Il existe deux interprétations possibles, non exclusives l’une de l’autre, des propos tenus par l’écrivain fasciste :

 Lorsqu’il se dit catholique, c’est un héritage qu’il revendique, un patrimoine culturel qui n’a rien à voir avec une quelconque adhésion aux dogmes de l’Église. Le catholicisme auquel il prétend se rattacher est, affirme-t-il, héritier « de la religion antique grecque et aryenne ». Cette assertion délirante est caractéristique de toute une littérature, foisonnante au début du XXe siècle, insistant sur le fait que les Européens ont su avec un génie particulier façonner l’Église, l’adapter à leurs anciennes croyances, à leur mentalité, tout en la coupant de ses venimeuses racines sémitiques. Il s’agit là de l’adhésion à un catholicisme déchristianisé, marqué par le rejet total de l’Ancien Testament et surtout de la figure de N.S.J.-C., accusé pour l’occasion d’être juif. Si telle était la véritable signification de l’écrit de Drieu, il n’y aurait alors rien d’étonnant à ce qu’il ait rédigé cette phrase rapportée par l’excellent Christian Lagrave : « Je tiens à dire que je méprise le Christ, ce qui est mieux que de le haïr » [2]

 Le fait d’attribuer au catholicisme un legs antique, c’est à dire de le subordonner à des religions païennes lui étant antérieures, tend à positionner Drieu sur les terrains mouvants du domaine gnostique. La prétention de s’affirmer catholique tout en reconnaissant de manière implicite la validité des religions grecques et aryennes est un signe qui ne trompe guère. Nous découvrons à la page datée du 25 novembre 1942 de son journal, soit trois ans après la rédaction de son Testament, les lignes suivantes :

J’en suis venu à admettre pleinement la Tradition ésotérique, occulte dans ses grandes lignes…. les maîtres son grands. Ce que j’ai toujours gardé de Platon, de Thomas d’Aquin, de Schopenhauer, de Hegel, de Nietzsche peut s’accorder avec les hindous, les néo-platoniciens, la Cabale, Eckhart, Boehm, Swedenborg, Guénon [3]

Il est probable que les deux schémas de pensée appartiennent au bagage idéologique du romantique fasciste. Le second s’étant peu à peu substitué au premier sans jamais totalement l’éclipser. Est-il réellement besoin de vous préciser que les principaux laudateurs récents de Drieu la Rochelle appartiennent aux courants de la Nouvelle Droite païenne ! (Jean Mabire, entre autres exemples, a publié aux éditions du Trident un Drieu parmi nous). Plus inquiétante est cependant cette propension de certains milieux catholiques à vouloir intégrer dans leur patrimoine culturel, écrivains et penseurs retors, sous le fallacieux prétexte qu’ils ont semblé, à un moment donné de notre histoire, partager des combats similaires aux nôtres (antimaçonnisme, etc…). De quelle curieuse indulgence faisait ainsi preuve Jean Bastier lorsqu’il écrivait en 1991 :

Certes, Drieu La Rochelle, mort prématurément (sic), n’est pas entré dans l’Église, mais il est sûr qu’il a connu le sens du divin…Nous partageons la conviction de Mabire que Drieu a entrevu la notion de Déité mystérieuse, chère à Eckhart. Qui peut dire que Drieu, si proche de Paul Valéry sur ce plan, ne s’est pas, lui aussi endormi dans le sein du Père ? [4]

Nul doute que l’inanité des efforts déployés par M. Bastier dans le but de réhabiliter l’auteur de Gilles n’a d’égale que ceux de Drieu à se prétendre catholique.

Il serait temps pour les traditionalistes de prendre conscience du fossé existant entre :
 la culture de l’“homme de droite” (composée de bric et de broc) que de “bonnes âmes” spécialisées dans l’ “anticonformisme” tentent aujourd’hui de nous imposer
 et la culture politique véritablement chrétienne prônée par les légitimistes. Une culture qui, elle, n’acceptera jamais de réserver la moindre place aux écrits des Drieu, Cioran, Evola, Mabire…

Un choix s’impose. Il faut le faire. Vous hésitez ! Ouvrez votre bibliothèque ! Examinez-la ! Vous serez certains d’avoir fait le bon choix si, en la refermant, vous pouvez vous dire le cœur léger : « Voilà ce que je lèguerai à mes enfants, ce qu’ils liront avec profit…Voici mon testament ! »


[1Pierre Drieu La Rochelle, "Journal 1939-1945", présenté et annoté par Julien Hervier, collection Témoins, éditions Gallimard, 1992, p.84.

[2Cité par Christian Lagrave, art. Un romantique fasciste, paru dans Lecture et Tradition, N° 168, février 1991, p. 6 (il est dommage que la source exacte de cette citation ne soit pas mentionnée).

[3Pierre Drieu La Rochelle, opus cité, p. 311.

[4Jean Bastier, Pierre Drieu La Rochelle. Sa vie, ses idées politiques, son théâtre, article paru dans Lecture et tradition, cité, p. 9.