Vive le Roy

La Révolution et la libre-pensée [partie 1], par Augustin COCHIN

Introduction à la sociologie du phénomène démocratique
samedi 12 février 2011 par Faoudel

Entrer dans une société de pensée suppose d’abdiquer son identité et sa connaissance du vrai pour épouser l’opinion qu’elle élabore et qui fonde son unité. Cette uniformisation de la pensée octroie à chaque membre le droit de parler au nom du peuple, de la patrie, du prolétariat. En contrepartie, aucune voix divergente n’est tolérée ― elle menacerait l’union ― et tout récalcitrant à la vérité du jour est impitoyablement diabolisé et persécuté. Dans sa forme paroxystique, la société de pensée au pouvoir instaure la Terreur, régime de délation et d’épuration.
Mais d’autres méthodes plus anodines caractérisent aussi ces sociétés révolutionnaires. Combien se sont perdus pour les avoir méconnues en recherchant par exemple des unions œcuméniques artificielles aux dépens des principes.

Introduction de Vive le Roy

Augustin COCHIN, La Révolution et la libre-pensée, Introduction, Ed. Plon, Paris, 1924, pp.XIX-LI.

AVERTISSEMENT  : Les titres ont été ajoutés par la rédaction de VLR pour faciliter la lecture en ligne.


LE PROBLÈME HISTORIQUE

Comment la Révolution a-t-elle été possible  ?

**La Révolution n’a pas de grands hommes

Ce qui étonne au premier regard jeté sur les convulsions révolutionnaires, c’est que dans ces combats de Titans, si l’on en juge aux ruines qu’ils ont faites, on ne distingue pas d’hommes. Pas une figure ne domine la foule.

La France de 1789 n’a pas eu son Cromwell, un homme capable de contenir le torrent après avoir rompu la digue.

Le peuple-roi n’a pas connu de maîtres  : ses meneurs ne sont que ses valets, ils le proclament à l’envi, et à les voir de près, on est tenté de les prendre au mot  : car les gens de loi tirés de leurs études par la Révolution, qui font la leçon au roi tandis que le flot les porte, retombent à leur mesure dès qu’il les abandonne  ; et cette mesure est médiocre.

Si imposants de loin, ils déçoivent de près  ; ce ne sont ni des héros ni des monstres, mais des hommes ordinaires, vulgaires d’âmes et de talents, et tous en général au-dessous de leur rôle.

Ils perdent leur jugement dans le succès, leur sans-froid dans l’épreuve et leur dignité dans le revers. Mirabeau n’est pas à la taille de sa gloire, ni Robespierre de son pouvoir, ni Fouquier de ses crimes.

Le drame est sombre et poignant, mais joué par une troupe de province et les situations sont plus grandes que les hommes.

**Des acteurs légalistes, sans sentiments et sans génie

On étudie aujourd’hui les hommes de la Révolution avec moins de passion et plus de détail et il faut avouer qu’ils n’y gagnent pas.

Quoi de plus misérable, ridicule, grossier, qu’une séance de la Convention de 1794  ?

Cependant ces hommes-là ont vaincu les Girondins, qui ont vaincu les constitutionnels, qui ont vaincu les députés des États.

C’est bien la quintessence de la Révolution  ; pas une illégalité n’a été commise, ou du moins ce sont les mêmes principes et les mêmes procédés qui ont mis ces gens-là au pouvoir. Il est impossible d’établir une ligne de démarcation avant eux  : les condamner, c’est condamner la Révolution elle-même  ; ils en sont bien les représentants orthodoxes.

Ce qui est énorme ce sont les crimes et les destructions, qui donnent une couleur sombre et une sorte d’intérêt au caractère des hommes  ; mais ces caractères sont la médiocrité, la trivialité même  ; pas de psychologie, pas de sentiments humains  ; seulement de gros effets.

Cependant leurs actes restent, dont pas un n’avait compris la portée  ; actes énormes.

Ce qu’ils ont détruit était grand  ; de là je ne sais quel malaise pour les juger.

**Des armées sans officiers

La même remarque s’applique aux luttes qui agitèrent la Bretagne en 1788 et 1789.

L’armée du peuple, l’armée des privilégiés eux-mêmes n’ont pas d’officiers, à peine quelques serre-files. Le “tiers”, la “noblesse”, voilà les seuls antagonistes, qui dédaignent de subir comme jadis des protecteurs et des chefs, et s’attaquent à visage découvert, sans masque ni prête-nom.

Les héros de ces luttes ne sont pas Le Chapelier, ni Glezen, ni même Volney, ni Mangourit, les gens du secret. C’est leur maître à tous, celui dont ils se déclarent et ne sont en effet que les humbles valets  : le Tiers.

Qu’est-ce que le chevalier de Guer  ? Le Chapelier  ? Frat  ? Glezen  ?... Lanjuinais même  ? Un bon jurisconsulte, mais quoi de plus  ?

Et comment expliquer que ces bourgeois honorables aient réussi à abattre quelque chose de si grand et aient vaincu, là où les Retz, les Condé, d’autres hommes certes, avaient combattu sans succès, ce que les Fénelon, les Vauban, les d’Aguesseau avaient critiqué sans effet — et servi  ?

Victoire sans conviction puisqu’ils se sont aplatis devant bien pis.

Ce n’est ni la force du génie, ni la force de la conviction qui ont abattu l’ancien régime.

**Des armées disciplinées par un mot d’ordre  : “l’Union

Et pourtant ces armées sans officiers ne sont pas sans discipline.

Elles comptent même sur cette discipline, y tiennent autant qu’à leur bon droit et lui obéissent mieux que l’armée régulière et encadrée du gouvernement.

Mais cette discipline est abstraite comme le commandement est impersonnel  ; elle n’est fondée ni sur la popularité d’un homme, comme celle d’une faction, ni sur la nécessité d’une réforme comme celle d’un parti.

Chefs, mots d’ordre et programmes changent tous les jours, mais non l’objet même de toute discipline  : l’Union.

L’Union, tel est l’unique mot de ralliement, le mot magique répété chaque jour dans les pamphlets, dans les discours, le seul argument donné aux hésitants, la seule cause assignée aux victoires.

**Un seul héros, abstrait  : le Tiers

Avant d’entrer dans les détails de la lutte, il convient de bien connaître les combattants.

Il faut faire le portrait de notre héros, le Tiers, avant de raconter son histoire et chercher le sens de la portée de ce mot, l’Union, que l’on prononce alors dans le parti révolutionnaire avec une sorte de respect religieux, et qui est, à l’entendre, son seul souci et sa vraie force.

Cette nécessité nous mènera à remonter à des considérations d’ordre général applicables à toutes les périodes de la Révolution de ce temps et de bien d’autres.

On a, en effet, bien souvent remarqué que l’attaque, en 1789, fut menée partout de même.

La force qui accomplit enfin le nivellement des ordres et des provinces, comme un immense équarrissage de la France  ; en effaçant, dans la loi d’abord, puis par la loi dans le fait, les types, les usages et la physionomie des hommes et des villes, avait déjà dans son action même quelque chose de la monotonie de son œuvre.

Elle travailla partout de même  : telle qu’elle est à Quimper, on la retrouve à Marseille. La Révolution n’a pas de patrie.

Recherche de la nature de la révolution

**L’union par un processus d’épuration

L’Union du Tiers en 1788 peut être étudiée à deux points de vue.
 Elle est fondée sur des idées, elle se traduit par des actes.
 Elle a un principe et une organisation.

Les idées de 1789 sont assez connues et ont été exposées par de plus habiles.

Nous n’en parlerons qu’au point de vue de cette Union qui nous intéresse, pour montrer qu’elle pouvait s’établir non seulement dans le fait, comme nous le verrons plus loin, mais en un sens dans l’opinion.

On a bien souvent, nié que cet accord moral fût réel, même possible.

Car voici le caractère singulier de cette union  : c’est justement entre les ennemis implacables du lendemain, que l’union du jour est la plus étroite. Les premières victimes de la haine des frères sont toujours des frères d’hier.

On sait l’histoire de toutes les “épurations” qui marquent les différentes étapes de la Révolution  : les épurés sont, non pas d’anciens adversaires, pas même des amis récents et mal connus, mais précisément les chefs et les sauveurs de la veille.

« La Révolution mange ses enfants », il serait plus juste de dire « ses auteurs ». Les parlementaires en novembre 1788, les Girondins en mai 1793, en sont les témoins.

**Le modèle erroné de l’intérêt personnel

On en a conclu que des appétits, et non des idées, étaient le seul ressort de la Révolution  ; que celle-ci constitue un vaste pillage dont les chefs se retirent d’abord parce qu’ils se servent les premiers  ; que les soldats continuent parce qu’ils veulent compléter leur fortune  ; de là des querelles, toujours renouvelées et toujours les mêmes, les querelles entre les satisfaits et les voraces.

Mais comment expliquer une union si étroite et ensuite une haine si furieuse, par le seul intérêt personnel  ?

Comment expliquer aussi cet enthousiasme, ce luxe de grands mots, cet étalage de principes, ces accès de générosité ou de rage  ?

Tout cela ne serait que mensonge et comédie  ?

Et le parti révolutionnaire se réduirait à n’être qu’un immense complot où chacun ne penserait qu’à soi en jouant la vertu et n’agirait que pour soi en acceptant une discipline de fer  ?

L’intérêt personnel n’a pas tant de constance ni d’abnégation  : c’est cependant l’explication qu’en donnent les auteurs d’opinions extrêmes  : le père Barruel d’un côté et de l’autre plusieurs historiens de la maçonnerie.

Il y a eu de, tous temps des intrigants et des égoïstes, il n’y a de révolutionnaires que depuis cent cinquante ans. D’où vient la force, inconnue et la dignité aussi dont se revêtent des vices connus de tout temps  ?

La vérité paraît plus simple.

**La Révolution, conséquence mécanique de la libre pensée

On oublie que la Révolution fut le triomphe

 de la philosophie, et non d’une doctrine déterminée  ;
 de la liberté de pensée en général et non de telle ou telle idée libérale.

La force des idées de l789 est dans la méthode et non dans le système.

C’est à ce point de vue que nous essayerons de l’étudier. Nous montrerons  :
 Que les doctrines se tiennent  ;
 Que les factions se succèdent nécessairement.

Il s’agit, non d’une doctrine définie, c’est-à-dire d’un ensemble de connaissances positives et d’exigences déterminées  ; mais
 d’une méthode de l’ordre intellectuel et
 d’une tendance dans l’ordre moral.

Allons plus, loin  : c’est la substitution systématique et radicale en principe
 de la méthode à la doctrine,
 de la tendance à l’état stable.

Nous voulons dire et nous montrerons que
 la méthode engendre la doctrine et que
 la tendance aboutit à un état social déterminé.

Il serait abusif de faire honneur, à la perversité individuelle d’actes inouïs, de sentiments dénaturés, quand ils relèvent de causes sociales bien autrement puissantes et profondes.

L’histoire de la Défense républicaine fait de la Révolution l’œuvre du peuple  ; l’histoire de fait y voit un coup monté, intrigue de quelques ambitieux, thèse aussi fausse que la première. L’erreur provient toujours de la même source  : on fait un problème psychologique de ce qui est un problème social  : on rapporte à l’action personnelle ce qui est le fait d’une situation, de la force des choses.

Ce n’est point la psychologie du jacobin qui sera le dernier mot de l’énigme révolutionnaire  ; ce sera la sociologie du phénomène démocratique.

LES SOCIÉTÉS

L’invasion des sociétés au XVIIIe siècle

** Société  : un terme mystérieux mais omniprésent

Un peu avant la Révolution se présente un phénomène encore mal connu dont on ne voit pas clairement les causes, ni le terme, ni les derniers effets  : les Sociétés.
« Les Sociétés », ce terme est employé absolument sans détermination.
 On dit, en octobre 1788, que les parlementaires sont, vaincus d’avance parce qu’ils sont « chassés de toutes les Sociétés ».
 On rapporte les paroles prononcées par tel homme en vue dans une « Société  ».
 On parle de « l’opinion des Sociétés ».
Le terme de Société est le véritable, non celui de Club, pour désigner les Sociétés révolutionnaires. On dit en 1792  : la Société de telle ville [1].

Cette manière de parler a sa raison. Il ne s’agit plus des salons littéraires du dix-septième siècle. Ce sont des sociétés de philosophes.

**L’expansion rapide des sociétés

C’est au déclin du règne de Louis XV que le phénomène se répand en France.
 Le Grand-Orient se constitue en 1773.
 Les Sociétés secrètes et ordres divers, Écossais, Illuminés, Swedenborgiens, Martinistes, Égyptiens, Amis réunis, se disputent les adeptes et les correspondances.

On voit enfin de 1769 à 1780 sortir de terre des centaines de petites sociétés à demi découvertes, autonomes en principe comme des loges, mais agissant de concert, comme des loges aussi, constituées comme elles, animées du même esprit “patriote” et “philosophe”, et cachant mal des visées politiques semblables, sous des prétextes officiels de science, de bienfaisance ou de plaisir  : Sociétés académiques, littéraires, patriotiques, musées, lycées, sociétés d’agriculture même.

« La république des lettres », simple allégorie en 1720, est devenue vers 1770, grâce à Voltaire et aux encyclopédistes, une fort tangible réalité.

Le règne des salons et du persiflage élégant est fini. Celui des Sociétés de pensée et du philosophisme commence. Les « Cacouacs » ont suivi les conseils de leur vieux maître. Ils ont formé un “corps d’initiés”, une “meute”, pour faire la chasse à l’« infâme »  [2] avec un acharnement qui trouble quelque peu la majesté du Parnasse français.

**Des sociétés omnipotentes

M. Roustan, dans son livre sur les Philosophes et la Société française au dix-huitième siècle, a fort justement insisté sur la formation de la “secte” philosophique vers 1760, et ce qu’il appelle le “clergé laïc”.
 Elle règne à l’Académie sous d’Alembert,
 dispose de la censure par Malesherbes,
 fait interdire les livres de ses adversaires, et
 jeter les auteurs à Vincennes et à la Bastille,
 répand sur l’opinion et sur le monde des lettres une sorte de Terreur sèche.
Les lettres de lord Chesterfield, les mésaventures du président de Brosses, de Palissot, de Gilbert, de Rousseau, de Fréron, de Linguet, pour ne citer que les plus célèbres, montrent ce que risquaient les indépendants et les héroïques.

Typologie des sociétés de pensée

**Un État virtuel

L’objet des Académies est de susciter une opinion publique. Elles ne sont pas seulement une agence de nouvelles, mais des sociétés d’encouragement au patriotisme, des barreaux d’esprit public.

Pour atteindre ce but, elles créent une république idéale en marge et à l’image de la vraie, ayant sa constitution, ses magistrats, son peuple, ses honneurs et ses luttes.
 On y étudie les mêmes problèmes politiques, économiques, etc.,
 on y traite d’agriculture, d’art, de morale, de droit.
 On y débat les questions du jour, on y juge les hommes en place.

Bref, ce petit État est, l’image exacte du grand, à une seule différence près  ; il n’est pas grand, et il n’est pas réel.
 Ses citoyens n’ont ni intérêt direct, ni responsabilité engagée dans les affaires dont ils parlent.
 Leurs arrêtés ne sont que des vœux,
 leurs luttes des conversations, leurs travaux des jeux.

**Des sociétés sans responsabilité concrète

Dans cette cité des nuées, on fait de la morale loin de l’action, de la politique loin des affaires  ; c’est la cité de la pensée. Voilà son caractère essentiel, celui que les initiés comme les profanes oublient d’abord, parce qu’il va de soi, et auquel il faut d’abord revenir pour apprécier la valeur et s’expliquer les lois et la pente fatale de l’association.

Il n’est pas indifférent en effet
 qu’il s’éveille et se forme un esprit, public de cette manière — socialement  ;
 ni qu’une société se fonde — théoriquement.

C’était, au dix-huitième siècle, une nouveauté.
 On avait déjà vu des philosophes, des bâtisseurs de systèmes métaphysiques, politiques, mais isolés, ennemis les uns des autres, laissant chacun son édifice intellectuel, achevé, distinct, complet.
 On avait vu des sectes religieuses, des corps professionnels, des sociétés de commerce,
 jamais encore des associations constituées dans le seul but de réunir “ses lumières”, de penser en commun par amour de l’art et sans but pratique, de chercher ensemble la vérité spéculative pour l’amour d’elle.

Il y a là un fait général qu’il faut étudier en lui-même, si l’on veut bien en comprendre les effets au début de la Révolution.

**Des sociétés de libre-pensée, égalitaires, pour créer une opinion sans rapport au réel

Toutes ces sociétés ont le même caractère  : ce sont des sociétés
 égalitaires de forme et
 philosophiques d’objet, ce que nous appellerions aujourd’hui des sociétés de libre-pensée.

Elles formaient la charpente matérielle de la « république des lettres », et donnèrent à la “philosophie” une consistance, une vigueur, un empire sur l’opinion, sans exemple jusque-là.

En effet, tout idéal qu’il soit, le nouvel État, la « république des lettres », a pris une prodigieuse extension, entre 1760 et la Révolution.

Les sociétés dont le royaume est semé sont toutes plus ou moins reliées les unes aux autres, et rattachées à celles de Paris. Ce ne sont, dans leur sein, que débats, élections, députations, correspondances, brigues  ; et par leur moyen se développe une véritable vie publique. Or, n’est-ce pas là un fait capital, et trop négligé, de la fin de ce siècle  ?

Cet état de choses, l’existence même des sociétés de pensée, du genre d’opinion qui s’y développait, des conditions spéciales où elles mettaient les auteurs et le public, eut de fort graves effets sur le mouvement des idées  : car il impose d’avance, et sans appel, aux auteurs et au public, le point de vue intellectuel, irréel.

Jamais peut-être le courant général des idées, de la littérature, ne fut plus éloigné du monde des réalités, du contact avec les choses, que dans cette fin de siècle. Il suffit de nommer des philosophes politiques comme Rousseau et Mably, un historien comme Raynal, des économistes comme Turgot, Gournay et l’école du laisser-faire, des sens de lettres comme La Harpe, Marmontel, Diderot.
C’est ainsi que naît le philosophisme.

**Des sociétés contre tout ordre d’origine extérieure à la volonté de l’homme

L’entraînement de la pensée libre a de graves conséquences, dans l’ordre intellectuel d’abord.
 Des privilégiés oublient, grâce à lui, leurs privilèges  ;
 nous pourrions citer de même le savant oubliant l’expérience,
 le religieux oubliant la foi.

Le fait d’expérience, le dogme religieux, tels sont en effet les deux ordres de faits imposés brutalement du dehors à notre intelligence, et arrêtant l’essor de la “philosophie” ou, comme on dit aujourd’hui, de la libre-pensée. La “philosophie” renversera ces entraves à la liberté  :
 l’expérience,
 la tradition,
 la foi.

**L’union artificielle des sociétés de pensée repose sur leur organisation et non sur leur finalité

Il faut distinguer entre
 l’Union artificielle fondée sur des théories et des principes et
 l’Union réelle fondée sur des faits.

Je ne dis pas que dans le mouvement de 1789 il ne soit entré, que de l’union artificielle  ; il y avait des causes réelles de la Révolution, un mauvais régime fiscal, qui demandait très peu, mais de la manière la plus irritante et la plus injuste... Je dis seulement que ces causes réelles ne sont pas de mon sujet. Elles ont pu d’ailleurs contribuer à la Révolution de 1789, non à celle du 10 août ni du 31 mai  : et en tous cas l’Union artificielle existait.

Or, une telle union ne repose pas sur une situation de fait, elle doit trouver son lien ailleurs. Elle ne peut reposer sur les idées seules. Il faut aux idées une charpente qui les soutienne, et à plus forte raison l’action l’exige  : c’est l’organisation des sociétés.

Les écrits du temps désignent cette organisation nécessaire, par un mot vague  : « Les Sociétés ». Il faut connaître ces sociétés, chercher comment elles se forment et se maintiennent, quelle est leur action sur les hommes et les mœurs politiques du temps.

L’instinct des contemporains ne les trompe pas  : la forme même de ces associations importait plus encore que la personne de tel de leurs membres ou que leur but réel ou fictif, et c’est de ce caractère général, si simple et si banal qu’il paraisse, qu’il faut nous occuper d’abord.

Qu’est-ce qu’une Société de pensée  ?

**Définition et caractéristiques

Si l’on consulte les statuts et l’esprit des sociétés, depuis les sociétés littéraires jusqu’aux Jacobins, on voit que ce mot est toujours pris dans le sens le plus général et le plus rigoureux.

Qu’est-ce qu’une Société  ?

Qu’est-ce qu’une Société au sens général et rigoureux du mot  ?

On peut la définir  : un groupe d’hommes unis par leur seule volonté et pour leur seul bien.
 Elle est active,
 elle est permanente et durable,
 elle est libre,
 elle n’a pour fin que le bien de ses membres
et ce mot “bien” est pris en son sens le plus général, sans restriction ni détermination.

Ainsi,
 un corps d’État, l’armée, la magistrature ne sont pas des sociétés  : leurs membres sont librement unis, mais non pour leur propre bien. L’armée n’est pas autonome et la magistrature n’est pas active.
 Une assemblée délibérante n’est pas une société  ; elle n’est pas active ni unie.
 Une famille, un clan, ne sont pas des sociétés, ils ne sont pas librement formés.
 Une nation n’est pas une société  : c’est la communauté d’origine et non la communauté de but, le lien du sang avant l’alliance des intérêts, la nature avant la volonté qui unit les compatriote.
 Une corporation ouvrière n’est pas une société, tant du moins qu’elle reste professionnelle.
 Un corps de métier, une communauté de palais, ne sont pas des sociétés  ; car ses membres n’y sont que par leur état et non par leur seule volonté.
 Une commune, c’est-à-dire la généralité des habitants d’un village ou d’une ville, n’est pas une société  : les habitants en font partie, du fait de leur résidence et non de leur libre choix.

Mais tous ces groupements peuvent devenir des sociétés, de manière différente  :
 les corps, quand l’esprit de corps prévaut sur le devoir d’État et l’honneur.
 Les assemblées représentatives, quand les partis y deviennent des associations d’électeurs.
 Les corporations, quand elles élargissent leur but, et abandonnent l’intérêt professionnel.
 Les communes, quand elles admettent des étrangers et que le lien naturel perd sa valeur.
 Les églises enfin ou les ordres religieux, les églises protestantes livrées au libre examen frisent sans cesse ce danger et y tombent souvent quand elles actualisent leur idéal immédiatement, le ramènent en ce monde, soit de fait par le relâchement et la politique, soit de droit par le libre examen, et ce qu’on appelle la largeur d’idées. Surtout par les systèmes sociaux.

Toutes ces voies différentes mènent ces groupements au même point, “la société”.

Et notons ce premier point  : dans une société les participants figurent comme libres, libérés de toute attache, de toute obligation, de toute fonction sociale.

L’ascension politique des sociétés de pensée

**Un régime politique inédit

De ces sociétés du dix-huitième siècle, libres, égalitaires, il va se dégager une conception nouvelle des lois, du pouvoir et des droits.
 Rousseau a fait la théorie de ce régime.
 Les sociétés secrètes l’avaient pratiqué de tout temps dans leur enceinte fermée.
 Les Jacobins ont essayé de l’appliquer au gouvernement d’une nation.

Ce régime n’est autre que la démocratie pure, gouvernement personnel et direct du peuple par lui-même. C’est l’opinion soumise à ce régime qu’on appelle “le peuple” en 1793.

Les Sociétés de pensée sont le milieu artificiel où germera la nouvelle conception morale et politique.

**Le théoricien  : Jean-Jacques Rousseau

Nous sommes devant la République de Jean-Jacques  : voilà, en effet, la première chose qui frappe quand on est en présence d’un système de sociétés, d’un ordre. Ce n’est pas dans l’antiquité, ni dans un tout petit État qu’il faut aller en chercher le plan  : c’est là, dans les loges, dans les sociétés littéraires.

Ainsi le Contrat social, en un sens, n’est pas une chimère, il est réalisé  ;
 il l’était avant Rousseau dans la république des lettres  ;
 il tenta de devenir le régime de la France sous la Terreur.

Un régime si nouveau produit et suppose des mœurs politiques nouvelles. Ces mœurs et ces procédés ne sont pas le fait d’un temps ni d’un pays, mais du régime lui-même et des rapports nouveaux qu’il établit entre les hommes. Il existe un type du bon associé, un code de la pratique sociale  ; nous les décrirons pour montrer comment il procède de la forme sociale elle-même.

Le développement social de l’idée de Rousseau coïncide donc avec le développement politique des Sociétés de pensée qui fera l’objet de cette étude.

Intérêt de l’étude sociologique des sociétés de pensée

**Un phénomène sociologique pur

Le phénomène de la libre-pensée mérite l’attention des sociologues, car c’est, peut-être le seul fait de leur ressort qui soit pur de tout alliage religieux, économique, ethnique. La libre-pensée est la même à Paris et à Pékin en 1750 et en 1914.

L’identité de nature en des milieux si divers témoigne que nous sommes devant un travail mental aussi inconscient que la coutume et le folklore. C’est un phénomène historique séculaire qui a ses lois, ses phases.

Rousseau pose avec les autres philosophes de son temps la Société de pensée comme la seule forme régulière des sociétés humaines [3].

**Recherche des lois de fonctionnement des sociétés de pensée

Or dans l’histoire d’une société l’on peut distinguer deux sortes de règles  :
 les unes se rapportent à sa conservation, à des raisons d’ordre et de discipline, à la pratique sociale  ;
 les autres à son objet, à des raisons de justice et de liberté, à la théorie sociale.

Rousseau s’en est tenu au second point de vue  ; il a fixé les règles du contrat au point de vue des idées en partant de son principe idéal de liberté et d’égalité.

On peut faire le travail complémentaire  : rechercher dans la réalité si le développement des sociétés n’est pas soumis à certaines lois, leur existence subordonnée à certaines conditions. Au lieu de prendre pour principe le but idéal de la société, prendre pour point de départ sa subsistance, son existence réelle.

Cette seconde méthode mène à établir la contre-partie du Contrat social, le code de droit coutumier du régime social, comme la première établissait son code de droit rationnel  ; et nous verrons que la seconde est aussi liée, aussi nécessaire que la première, mais pratique au lieu d’être théorique.

Rousseau se demande :
 Que doit être une société visant au bien commun, pour être fondée en justice  ?

On peut se demander  :
 Quelle doit être la société de Rousseau pour vivre et se maintenir  ?

**Les matériaux d’étude disponibles

Les données historiques qui permettent de répondre à cette question sont nombreuses.

Dans notre documentation, nous essaierons de montrer quels furent les effets et les conditions du jeu des Sociétés en 1789 et en Bretagne  [4], en 1793 dans la France entière [5].

Mais ce sont là des cas particuliers  ; l’action des sociétés a des lois générales, nécessaires, qui tiennent à la nature même de l’union, et non aux hommes ni aux circonstances. Nous devons donner de ces lois une idée sommaire, indispensable pour bien comprendre le phénomène révolutionnaire.

Nous nous aiderons dans cet exposé des plus frappants exemples fournis par l’histoire des sociétés pendant les deux derniers siècles.

En France, celle
 soit des sociétés secrètes, par exemple la Congrégation, la Maçonnerie royaliste du Directoire et de l’Empire, le Grand-Orient  ;
 soit des sociétés à demi découvertes, comme les sociétés révolutionnaires, les Amis de la Constitution, les Jacobins  ;

soit enfin, au dehors, de ces vastes associations électorales permanentes, la “Machine”, ou le “Caucus”, qui ont régné en Amérique dès le temps de Washington, en Angleterre depuis 1880, et qu’un ouvrage critique de premier ordre a récemment décrites [6].

Ces modèles d’illustration ne sont pas les seuls  ; et sans aller si loin, nous en trouverons aussi dans notre sujet même.

Distinguer démocratie pure et régime parlementaire

Pour prévenir quelque confusion, il n’est pas hors de propos de définir le sens des termes et de marquer la différence qu’il y a entre
 les mœurs de la “démocratie pure” et
 les mœurs politiques des partis, c’est-à-dire du “régime parlementaire”, avec lequel on est le plus tenté de confondre le “régime social” à cause de leurs principes communs et du commun nom de démocratie.

Dans la démocratie pure, ou démocratie directe, la volonté actuelle de la collectivité, à tout instant, fait loi  : dès lors le gouvernement personnel du peuple ne peut se concevoir autrement que sous la forme de consultation permanente, donc de Sociétés permanentes de libre discussion.

Dans le régime parlementaire la théorie démocratique n’est pas pure, ni le gouvernement du peuple direct. En effet, sous le régime représentatif ou bien l’électeur vote pour un homme plus que pour le programme et alors il ne discute guère, ou s’il discute ce n’est après tout que sur des questions générales, tous les quatre ans et pendant six semaines. Dans ces conditions, partis et candidats peuvent accepter le débat, se donner le luxe d’éclairer les électeurs et de répondre aux objections  ; l’entente n’en souffre pas trop et la dignité des deux parties y gagne  : c’est le temps des réunions sérieuses, des conférences étudiées, des professions sincères, des “lectures”, comme disent les Anglais.

Mais les lectures sont abandonnées en Angleterre depuis que la pratique des « associations permanentes » a remplacé celle des campagnes périodiques. Le régime parlementaire des associations périodiques et électorales n’est qu’une forme intermittente de démocratie.

Ainsi en ont jugé les purs démocrates de tout temps  :
 nos Jacobins de 1793, pour qui le peuple, la volonté du peuple, résidait essentiellement dans les Sociétés populaires  ;
 les démocrates anglais et américains qui ont transformé dans ce sens l’ancienne organisation autoritaire et féodale des partis, le député devenant le porte-parole, et non plus le maître et le chef, d’une circonscription où le peuple restait assemblé en permanence, organisé et “debout”, au lieu de se disperser, l’élection faite et le pouvoir donné. Les sections de vote sont devenues des sections délibérantes et permanentes, phénomène déjà connu du temps de la Révolution.

La démocratie pure ne reconnaît plus ni doctrine ni docteur  ; tout est livré à la discussion libre, et, d’autre part, cette discussion est étendue à toutes les questions et à tout le monde et à tous les temps, et non limitée aux questions générales, à certains électeurs et à certaines époques comme dans la démocratie tempérée ou parlementaire.

Le régime parlementaire est une liberté réglée par une Constitution.

Il faut insister sur la différence parce que l’on confond toujours la démocratie pure avec la démocratie parlementaire .

La démocratie directe ne s’est jamais exercée jusqu’ici d’une façon stable que dans les sociétés de pensée. Elle se pratique cependant aux Jacobins, au Grand-Orient, à la C. G. T. Toutes ces organisations permanentes sont aussi différentes de la démocratie représentative que celle-ci l’est du droit divin.

PROPOSITION ET DIVISION

Nous nous proposons d’étudier le développement progressif du phénomène démocratique depuis la forme anodine des Sociétés de pensée de 1750 jusqu’à la forme terrible du gouvernement révolutionnaire de 1793.

C’est un drame où l’homme personnel et moral est peu à peu éliminé par l’homme socialisé, lequel ne sera plus à la fin qu’un chiffre, un figurant abstrait.

L’étude des faits nous amènera à cette constatation qui pourrait sembler paradoxale  : « Pas plus dans une société purement démocratique que dans une société autoritaire, il ne peut être question pour la masse, de liberté, de souveraineté réelle, actuelle. » C’est l’idéal qui reste au terme de l’évolution. En fait, le pouvoir est aux mains de quelques-uns — sous le règne de la liberté comme sous celui de l’autorité— et la masse suit, obéit, croit.

L’asservissement du nombre a, dans les sociétés libres, trois aspects selon leur nature et leur degré de développement. On peut ainsi distinguer trois étapes dans le “Progrès des lumières”, réalisant trois états différents des Sociétés de pensée  :
 État philosophique,
 État politique,
 État révolutionnaire.

Ce sont les trois stades d’une évolution logique qui correspondent aux trois périodes historiques de la Révolution.
 Le premier, “l’état philosophique”, est celui des Sociétés de pensée proprement dites, période de spéculation platonique au dix-huitième siècle. C’est la révolte intellectuelle de la libre-pensée préparant la Révolution (1750-1789).
 Le second, “l’état politique”, répond à la seconde phase du développement, au passage de la spéculation pure à l’action politique. L’opinion est alors un parti, elle a des clubs, elle tend à des résultats réels, à obtenir certaines décisions de l’autorité du jour, des lois. C’est la première période de la Révolution de 1789 à 1793.
 La troisième est “l’état révolutionnaire”  : l’idée pure, jusque-là entravée par les réalités sociales, éclate, triomphe et se réalise en sa plénitude. C’est le gouvernement direct par le peuple souverain  : les douze mois de la Terreur. (1793-1794). Il ne saurait durer, étant contre nature.

Or, en chacun de ces trois états, sous couvert d’affranchissement et de libération, nous rencontrons un asservissement nouveau de l’homme à la société.

En effet, le règne du peuple, le règne permanent et absolu de l’opinion suppose son “orientation”, c’est-à-dire l’existence de sociétés permanentes dont le seul objet soit de la former.

Ces sociétés sont l’organe du peuple. Or, il se montrera que l’organe a ses lois propres, différentes de celles du peuple vivant, puisqu’il ne se maintient que par une triple contrainte qui répond précisément aux trois étapes de la démocratie.
 Dans l’état philosophique, le secret des loges étouffe la pensée publique dont on se dit le porte-parole (1750-1789).
 Dans l’état politique, la pression extralégale, officieuse, des clubs, entrave puis tyrannise l’action des pouvoirs constitués (1789-1793).
Dans l’état révolutionnaire, la tyrannie officielle des sociétés populaires achève de confisquer, après les personnes, les propriétés (1793-1794).

Ainsi la démocratie n’est pas le peuple.

Quelles sont donc ces lois de l’organe réduit à sa fonction d’organe  ? Nous suivrons leur développement à la fois logique et historique.

En ces trois stades, trois buts sont proposés comme un triple affranchissement  :
 Vérité,
 Liberté,
 Justice .

Or, ils répondent à trois oppressions  :
 Libre-pensée,
 Individualisme,
 Socialisme.

Et cette servitude s’affirme  :
 Dans l’ordre intellectuel, par le secret.
 Dans l’ordre moral, par la corruption et le chantage.
 Dans l’ordre matériel, par la force. Et toujours sous la forme la plus radicalement opposée à la liberté.

Nous étudierons successivement  :
La libre-pensée qui, sous le nom de VÉRITÉ, nous présente la servitude intellectuelle par le secret des loges   : le profane ignore où on le mène, il doit y aller les yeux bandés. La forme propre de la contrainte nécessaire au règne de l’élite sur le nombre, c’est l’ignorance telle qu’elle se manifeste dans les sociétés maçonniques. Pour les ignorants, cela s’appellera le « Progrès des lumières ».

L’individualisme qui, sous le nom de LIBERTÉ, réalise la servitude morale par la corruption, le chantage et la peur. On libère, c’est-à-dire qu’on isole l’individu, mais c’est pour le mieux asservir. Sur le terrain politique, comme sur le terrain religieux, l’association se présente comme un moyen d’affranchissement, d’assainissement moral  ; ne met-elle pas le moindre citoyen à portée de discuter ses actes politiques, de suivre ses chefs les yeux ouverts, librement et non par intérêt  ? En fait, c’est le contraire  ; la corruption devient dominante quand la société passe à cette seconde phase de son développement et d’intellectuelle devient politique  ; l’organisation de l’opinion par pression extérieure a toujours et partout eu pour résultat l’abaissement du niveau moral.

3° Le socialisme qui, sous le nom de JUSTICE, réalise la tyrannie officielle des sociétés populaires  : à la servitude morale des volontés succède et ajoute la servitude matérielle des biens. Cette justice se dit l’égalité et c’est la spoliation violente de tous les biens par le despotisme, dans le silence universel de la Terreur. et de la haine. C’est le communisme du Gouvernement révolutionnaire.

Tel est le bilan de cette ascension de l’affranchissement populaire.
 D’abord manière douce dans les loges et les sociétés philosophiques  ;
 Puis forme intermédiaire dans les clubs et les sociétés politiques.
 Enfin, manière forte dans le Comité de Salut public.

Et le résultat intime sera la progressive socialisation de l’homme, substituant à l’être réel et personnel un être social et fictif.
 L’affranchissement de l’esprit sera la pensée socialisée, la socialisation intellectuelle du philosophe de 1789.
 L’affranchissement du citoyen sera la vie publique socialisée, la socialisation morale du patriote de 1792.
 L’affranchissement des biens sera la vie économique et la vie privée socialisée, la socialisation matérielle du citoyen de 1793.

Une fiction impersonnelle a succédé à la personnalité humaine.

N’imaginons pas que ce soit du passé  ; le rêve n’est pas évanoui, l’idée chemine toujours  :
 Rousseau a divinisé le peuple  ;
 M. Durkheim a socialisé Dieu  : Dieu, pur symbole du social, le social, seule réalité.

RÉFLEXION (1909)

Les trois formes d’oppression qui répondent aux trois états des Sociétés de pensée ne sont, pas un effet du tempérament des individus, un hasard, mais la condition de l’existence même de sociétés qui posent en principe la liberté absolue dans l’ordre intellectuel, moral et sensible.

Toute Société de pensée est oppression intellectuelle par le fait même qu’elle dénonce en principe tout dogme comme une oppression. Car elle ne peut, sans cesser d’être, renoncer à toute unité d’opinion. Or une discipline intellectuelle sans objet qui lui répond, sans idée, c’est la définition même de l’oppression intellectuelle.

Toute société d’égaux est privilège par le fait même qu’elle renonce en principe à toute distinction personnelle  ; car elle ne peut se passer d’unité de direction. Or une direction sans responsabilité, le pouvoir sans autorité, c’est-à-dire l’obéissance sans respect, c’est la définition même de l’oppression morale.

Toute société de frères est lutte et haine par le fait qu’elle dénonce comme égoïste toute indépendance personnelle  : car il faut bien qu’elle lie ses membres les uns aux autres, qu’elle maintienne une cohésion sociale, et l’union sans amour c’est la définition même de la haine.

SOMMAIRE

Nous allons suivre dans cette étude le développement progressif de la libre-pensée en ses trois périodes qui ne sont que l’épanouissement des Sociétés de pensée en démocratie absolue. De là trois sections  :

Première section. — Vérité ou la Pensée socialisée.
  Premier stade  : la vie intime des Sociétés de pensée (1750-1789).

Deuxième section. — Liberté ou la Volonté socialisée.
 Deuxième stade  : la personne supprimée par l’organisation (1789-1793).

Troisième section.— Justice ou les Biens socialisés.
 Troisième stade  : le Communisme de la Terreur. (1793-L794).

[1Exemple Barbaroux, p. 96.

[2L’Église catholique, comme la nommait Voltaire. (note de VLR)

[3D’ailleurs tous les historiens maçons ont dit que la Révolution était faite en loges avant de l’être dans la nation.

[4V. sur les origines du mouvement révolutionnaire : Les Sociétés de pensée et la Révolution en Bretagne, 1788-1789.

[5Voir les Actes du, gouvernement révolutionnaire (23 août 1793 — 27 juillet 1794) par Augustin COCHIN et Charles CHARPENTIER.

[6OSTROGORSKI.


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