Les “ philosophes ” des Lumières d’après Augustin COCHIN (1912)
La société de pensée est une société artificielle, dont le mécanisme a été mis au point au XVIIIe siècle. Elle vous invite à « défendre vos idées », mais par son mode de fonctionnement et à votre insu, elle vous « libère » de la réalité pour vous asservir à la tyrannie de l’opinion. L’addiction au pouvoir des mots qu’elle suscite chez les déçus du monde réel, explique sa formidable expansion et finit par donner l’illusion d’une normalité. Actuellement, ce mode de fonctionnement est celui des loges, syndicats, A.G. de grévistes, partis, élections, forum... Que l’on ne s’y trompe pas, derrière tous ces prétextes de réunion, il s’agit ni plus ni moins que de créer un nouvel homme.
Présentation de Vive le Roy
Le texte suivant est celui d’une conférence prononcée par Augustin COCHIN le 15 mai 1912 dans le cadre des “ Conférences Chateaubriand ”.
Il a pour titre original : « Les philosophes »
AVERTISSEMENT : Tous les titres ont été ajoutés par VLR pour faciliter la lecture en ligne.
Introduction
Je voudrais vous parler des “philosophes” du dix-huitième siècle ― mais j’entends de leur philosophie, et non, comme vous y comptez sans doute, de leurs soupers, bons mots, charmantes amies, brouilles et succès : tâche ingrate, assurément car tout le charme et l’intérêt ― j’allais dire le sérieux de mon sujet ― est dans ses accessoires. Où serait la métaphysique de Voltaire sans ses malices, le renom de tant de penseurs sans quelques lettres de femmes, et les éditions de l’Encyclopédie sans ses reliures ? Laissons pourtant la reliure ― le joli dos brun et or que vous voyez d’ici ― et parlons du livre, que vous n’avez jamais ouvert : aussi bien, grâce à Dieu, n’est-ce pas utile, et vous le connaissez d’avance.
Tout a changé depuis cent cinquante ans, sauf la philosophie, qui n’a changé que de nom ― nous disons la Libre Pensée ― et varie aussi peu d’un homme que d’un âge à l’autre. Diderot, causeur et lettré, avait sans doute de l’agrément et de la physionomie. Diderot philosophe est pareil à tous ses “ frères ” et je vous en fais grâce.
Mais s’il est superflu de décrire, il est fort malaisé d’expliquer.
Problématique : la philosophie des Lumières est-elle une secte ?
Qu’est-ce que la philosophie ? Une secte, dit-on d’ordinaire : et elle en a bien en effet tous les dehors.
Orthodoxie, d’abord : « La raison, écrit Diderot dans l’Encyclopédie, est à l’égard du philosophe ce que la grâce est à l’égard du chrétien. » C’est le principe de nos Libres Penseurs : « Nous avons foi en la raison. »
Ainsi ce qu’on demande aux frères est moins de servir la raison que d’y croire ; il en est de ce culte-là comme des autres : c’est la bonne volonté qui sauve. « Il y a, dit Voltaire, des philosophes jusque dans les échoppes », mot qui fait pendant à notre “ foi du charbonnier ”. Et d’Alembert écrit à Frédéric II en 1776. « Nous remplissons comme nous pouvons les places vacantes à l’Académie française, de la même manière que le festin du père de famille de l’Évangile, avec les estropiés et les boiteux de la littérature. » Tel esprit boiteux sera donc admis, s’il est bon philosophe, et tel autre, exclu, qui est bien d’aplomb, mais indépendant. Le parti pris est net, et encourage, vous le savez, un quiétisme de la raison encore plus nuisible à l’intelligence que le quiétisme de la foi à la volonté. Rien ne fait plus de tort au progrès de la raison que son culte : on ne se sert plus de ce qu’on adore.
Exigeante sur l’orthodoxie, la philosophie ne l’est pas moins sur la discipline. Voltaire ne cesse de prêcher l’union aux frères : « Je voudrais que les philosophes puissent faire un corps d’initiés, et je mourrais content », écrit-il à d’Alembert, et encore, en 1758 : « Ameutez-vous, et vous serez les maîtres ; je vous parle en républicain, mais aussi il s’agit de la république des lettres, oh ! la pauvre république ! » Ces vœux du patriarche sont exaucés et dépassés dès 1770 : la république des lettres est fondée, organisée, armée, et intimide la cour. Elle a ses législateurs, l’Encyclopédie ; son parlement, deux ou trois salons ; sa tribune, l’Académie française, où Duclos a fait entrer, et d’Alembert régner la philosophie, après quinze ans de lutte persévérante, de politique suivie. Elle a surtout, dans toutes les provinces, ses colonies et comptoirs. Académies dans les grandes villes, où, comme au palais Mazarin, philosophes et indépendants sont aux prises, et les seconds toujours battus ; sociétés littéraires, chambres de lecture, dans les petites ; et d’un bout à l’autre de ce grand réseau de sociétés, c’est un perpétuel va-et-vient de correspondances, adresses, vœux, motions, un immense concert de mots, d’un merveilleux ensemble, pas une note discordante : l’armée des philosophes, disséminée sur le pays, où chaque ville a sa garnison de penseurs, son “ foyer de Lumières ”, s’entraîne partout, dans le même esprit, selon les mêmes méthodes, au même travail verbal de discussions platoniques. De temps en temps, au signal de Paris, on s’assemble pour les grandes manœuvres, les “ affaires ” comme on dit déjà, incidents judiciaires ou politiques ; on s’ameute contre le clergé, contre la cour, voire contre tel impudent particulier, Palissot, ou Pompignan, ou Linguet, qui a cru s’attaquer à une coterie comme une autre, et voit avec stupeur se lever d’un seul vol, de Marseille à Arras, et de Rennes à Nancy, l’essaim tout entier des philosophes.
Car on persécute ― autre pratique de secte. Avant la Terreur sanglante de 93, il y eut, de 1765 à 1780, dans la république des lettres, une terreur sèche, dont l’Encyclopédie fut le comité de salut public, et d’Alembert le Robespierre. Elle fauche les réputations comme l’autre les têtes, sa guillotine, c’est la diffamation, l’infamie, comme on dit alors ; le mot, lancé par Voltaire, s’emploie, en 1775, dans les sociétés de province, avec une précision juridique. “ Noter d’infamie ” est une opération bien définie, qui comporte toute une procédure, enquête, discussion, jugement, exécution enfin, c’est-à-dire condamnation publique au mépris, encore un de ces termes de droit philosophique, dont nous n’apprécions plus la portée. Et les têtes tombent en grand nombre : Fréron, Pompignan, Pallissot, Gilbert, Linguet, l’abbé de Voisenon, l’abbé Barthélemy, Chabanon, Dorat, Sedaine, le président de Brosses, Rousseau lui-même, pour ne parler que des gens de lettres, car le massacre fut bien plus grand dans le monde politique.
C’est là, vous le voyez, tout l’extérieur d’une secte vigoureuse et bien armée, de quoi en imposer à l’ennemi, de quoi aussi piquer la curiosité des passants, comme nous le sommes ce soir ; car derrière de si grands murs, nous devons nous attendre à trouver une grande ville, voire une belle cathédrale : on ne conçoit point, en général, de fanatisme sans foi, de discipline sans loyalisme, d’excommunication sans communion, d’anathèmes sans puissantes et vivantes convictions ― pas plus qu’on ne conçoit un corps sans âme.
Comment étudier une philosophie qui n’a d’autre contenu que la négation de toute règle ?
Mais voici la merveille : ici, et seulement ici, nous sommes déçus : ce puissant appareil de défense ne défend rien, rien que du vide et des négations. Il n’y a rien, là derrière, à aimer, rien à quoi se prendre et s’attacher. Cette raison dogmatique n’est que la négation de toute foi, cette liberté tyrannique, la négation de toute règle. Je n’insiste pas sur un reproche si souvent fait aux philosophes : eux-mêmes avouent et glorifient le nihilisme de leur idéal.
Car le plus curieux est que ces deux aspects contradictoires sont admis aussi bien des philosophes que des profanes. On discute l’appréciation, non le fait. « Nous sommes l’esprit humain, la raison même », proclament les premiers, et, au nom de cette raison, ils dogmatisent et excommunient : c’est ce qu’ils appellent affranchir. « Vous êtes le néant, démontrent les profanes, l’anarchie, la négation, l’utopie ; non seulement vous n’êtes rien, mais vous ne pouvez rien être que discorde et dissolution », et l’instant d’après, ils crient au meurtre et appellent la garde contre ce fantôme qui n’a pas même le droit d’exister, à les entendre, et qui pourtant les tient à la gorge. C’est le duel de Martine et de M. Jourdain. Il a commencé du temps de Voltaire et dure encore, vous le savez.
On peut l’étudier en tant que phénomène intellectuel, dans son fonctionnement.
Je ne vois qu’une issue au dilemme : c’est de retourner le raisonnement. Puisque, dans cette étrange église, il n’y a pas de Credo ― rien que des dogmes négatifs ; pas d’âme ― et pourtant un corps si robuste, essayons de renverser les termes, de commencer par le corps. Prenons la philosophie non plus comme un esprit, qui se définit par son but, pas même comme une tendance qui s’explique par sa fin, mais comme une chose, un phénomène intellectuel, résultat nécessaire et inconscient de certaines conditions matérielles d’association.
C’est là, je l’avoue, un procédé impertinent ; il y a de l’irrévérence à traiter ainsi, comme une chose inerte et aveugle, la “ pensée moderne ”, la “ pensée libre ”. Mais enfin l’exemple nous vient d’elle-même. C’est bien elle après tout qui, depuis Renan jusqu’à M. Loisy, nous a dotés d’une théologie, d’une exégèse nouvelles, qui, renversant l’attaque individualiste du seizième siècle et prenant la foi entre deux feux, met l’Église avant le Christ, la tradition avant l’Évangile, explique le moral par le social ; et je ne sais pourquoi cette Église là toute seule échapperait à la critique qu’elle a inventée et appliquée aux autres sans bienveillance.
Prenons donc le fait : l’existence de cette étrange cité qui naît et qui vit, contre toutes les règles, de ce qui tue les autres. Comment expliquer ce miracle-là ?
C’est ce que je voudrais chercher avec vous.
Et ne croyez pas que je vais vous mener dans un sabbat d’arrière-loge, comme le père Barruel [1], ni vous montrer la tête de Louis XVI dans la marmite des sorcières, après le bonhomme Cazotte. Ce n’est pas que Barruel et Cazotte aient tort, mais ils n’expliquent rien, ils commencent par la fin.
L’objet de cette philosophie est uniquement de “ causer ” ...
Ce qui me gêne, au contraire, c’est de ramener ces effrayantes et diaboliques conséquences au tout petit fait qui les explique, si banal, si menu : causer. Là pourtant est l’essentiel. La république des lettres est un monde où l’on cause, mais où l’on ne fait que causer, où l’effort de chaque intelligence cherche l’assentiment de tous, l’opinion, comme il cherche, dans la vie réelle, l’œuvre et l’effet.
C’est là, direz-vous, une bien chétive raison pour une si grosse conséquence ; c’est peser bien lourdement sur le plus innocent des jeux. Mais du moins je ne suis pas le premier coupable, et les joueurs ont commencé, ― je ne parle pas des premiers, des bons vivants de 1730, mais des encyclopédistes de l’âge suivant. Ceux-là sont graves : comment ne pas l’être quand on est sûr que l’éveil de l’esprit humain date de son siècle, de sa génération, de soi-même ? L’ironie remplace la gaieté, la politique les plaisirs. Le jeu devient une carrière, le salon un temple, la fête une cérémonie, la coterie un empire dont je vous ai montré le vaste horizon : la république des lettres.
Et que fait-on dans ce pays-là ? Rien d’autre, après tout, que dans le salon de Mme Geoffrin : on cause. On est là pour parler, non pour faire ; toute cette agitation intellectuelle, cet immense trafic de discours, d’écrits, de correspondances, ne mène pas au plus petit commencement d’œuvre, d’effort réel. Il ne s’agit que de “ coopérations d’idées ”, d’“ union pour la vérité ”, de “ société de pensée ”.
... pour créer une société virtuelle, une société de pensée : l’opinion !
Or, il n’est pas indifférent qu’un tel monde se constitue, s’organise et dure : car ses habitants se trouvent par la force des choses placés à un autre point de vue, sur une autre pente, devant d’autres visées, que dans la vie réelle. Ce point de vue, c’est celui de l’opinion, “ la nouvelle reine du monde ”, dit Voltaire qui salue son avènement dans la cité de la pensée.
Tandis que dans le monde réel le juge de toute pensée est l’épreuve, et son but l’effet, dans ce monde-là le juge est l’opinion des autres, et le but leur aveu. Et le moyen est d’exprimer, de parler, comme il est ailleurs de réaliser, d’“ œuvrer ”. Toute pensée, tout effort intellectuel n’a d’existence ici que par l’assentiment. C’est l’opinion qui fait l’être. Est réel ce que les autres voient, vrai ce qu’ils disent, bien ce qu’ils approuvent. Ainsi l’ordre naturel est renversé : l’opinion est ici cause, et non, comme dans la vie réelle, effet. Paraître tient lieu d’être, dire, de faire.
Je ne puis m’empêcher de rappeler ici le charmant mythe d’Aristophane. Bien d’autres l’ont fait, mais toujours, ce me semble, à contresens : quand on parle de la cité des nuées, on ne pense qu’aux nuées, et pour railler ceux qui veulent y bâtir une ville. Aristophane, qui vivait en un siècle de philosophes, et s’y connaissait en libre pensée, ne le prend pas ainsi : c’est la cité qu’il voit, bâtie dans les nuées sans doute, mais de bons moellons, et peuplée de citoyens en chair, en os et en plumes. La cité des nuées, c’est la donnée d’une pièce, et non la boutade d’un pamphlet. Ce n’est pas sur l’utopie qu’insiste le poète grec, c’est sur la réalité.
Faisons donc comme lui. Constatons le fait, l’existence de ce monde nouveau, si vain qu’il nous paraisse ; montons et entrons. Vous allez voir que, sitôt le seuil passé, leurs principes, ces “ dangereuses chimères ”, deviennent là-haut les plus évidentes et les plus fécondes vérités.
Ses dogmes : l’homme est bon, libre et se suffit à lui-même.
Vous connaissez ces dogmes de la philosophie ; ils se ramènent tous à un : la nature est bonne ; et toutes les règles à une : laisser faire.
L’homme se suffit à soi-même, et dans sa raison, et dans sa volonté, et dans ses instincts ; la foi, l’obéissance, le respect, voilà les seuls dangers ― que Voltaire désigne d’un mot : l’infâme. Il a tort ici-bas, mais raison là-haut, et vous en conviendrez vous-mêmes ― je parle aux “ fanatiques ” et aux “ esclaves ” de l’auditoire ― si vous voulez bien entrer dans la cité des philosophes, et vous mettre à leur place au lieu de crier à l’utopie sans bouger de la vôtre.
Son ennemi : le monde réel.
La raison se suffit ? Mais c’est assez clair. Ah ! certes, dans le monde réel, le moraliste sans foi, le politique sans tradition, l’homme sans expérience sont de pauvres gens, voués à toutes les défaites. Que peut faire la logique toute seule sans ces trois ouvriers de toute œuvre réelle, ce triple enseignement : personnel, social, divin ?
Mais nous ne sommes pas dans le monde réel, il n’y a pas là d’œuvre à faire ; rien qu’à parler, et à des parleurs. Or, à quoi bon la foi, le respect de la tradition ou l’acquis de l’expérience, dans ce monde-là ? Ce sont choses qui s’expriment mal et n’ont que faire dans une discussion de principe. Nécessaires pour juger droit et juste, ces conseillers-là ne sont qu’un embarras pour opiner clairement. Indispensables au travail réel, à l’œuvre, ils gênent le travail verbal, l’expression.
Et mieux encore : encombrants pour l’orateur, ils seront désagréables à l’auditoire ; car ils ’ont pas le droit de se montrer là sans devenir odieux ou ridicules. Vous savez combien il est difficile, dans une simple conversation, de faire intervenir la foi ou le sentiment. Dans notre cité des oiseaux, l’ironie et la logique sont chez elles, et il faut bien de l’esprit ou du talent pour se passer d’elles. Cela se conçoit : est-il rien d’odieux comme la foi qui prêche loin du sacrifice, le patriotisme qui s’exalte loin du danger, l’intérêt qui s’affirme loin des risques et du travail ? Telle est pourtant la posture où ils se mettent s’ils paraissent dans un monde où, par définition même, l’œuvre et l’effort sont hors de question. Ils ne pourront s’appeler, là, que cléricalisme, chauvinisme, égoïsme.
Préventions ? Malveillance ? Non pas : vérités évidentes pour qui regarde de là-haut. On est libre assurément de ne pas entrer dans la cité nouvelle. On n’est pas maître, si on y est, d’y opiner autrement qu’en “ philosophe ” et en “ citoyen ”.
Vous voyez que la philosophie est dans le vrai quand elle affirme le droit de la raison : nulle chimère ici : il est exact, à la lettre, que la raison suffit à chacun. Car le but est déplacé : le succès désormais est à l’idée distincte, à celle qui se parle, non à l’idée féconde qui se vérifie ― ou plutôt c’est la discussion seule, l’opinion verbale, et non plus l’épreuve, qui vérifie et juge.
Ainsi tout un ordre de motifs, ceux qui dépassent l’idée claire et servent l’effort réel, sont dans ce monde-là inutiles, puisqu’on n’a rien à faire, gênants puisqu’on a tant à dire, enfin ridicules et odieux, la caricature d’eux-mêmes. Mais alors qu’arrive-t-il ? On les laisse dehors ; c’est tout simple : où serait le mal ? Apostasie, trahison, folie ? Grand Dieu non : il ne s’agit que d’un jeu. On ne manque pas plus à Dieu, au roi, au sein de ses affaires, parce qu’on s’amuse à discuter quelques heures chaque soir en philosophe, qu’on ne jette son chapeau pour entrer dans un salon : chacun le dépose soigneusement derrière la porte, pour le reprendre en sortant.
L’adepte est homme d’Église, d’épée, de finance, qu’importe ? Il y aura un jour, une heure, chaque semaine, où il oubliera ses ouailles, ses hommes ou ses affaires, pour jouer au philosophe et au citoyen, quitte à rentrer ensuite dans son être réel, où il aura bientôt fait de retrouver ses devoirs, et ses intérêts aussi.
Ses lois de fonctionnement : lois de triage et d’entraînement.
**Élimination mécanique des hommes d’expérience au profit des aigris du monde réel.
Mais si c’est tout simple et naturel, ce n’est pas sans conséquence : car le jeu dure ; et certains y jouent mieux : question d’âge, les jeunes gens ; ou d’état, les gens de loi, de plume ou de parole ; ou de convictions, les sceptiques ; de tempérament, les vaniteux ; ou de culture, les superficiels. Ceux-là y prennent goût, y trouvent profit, car devant eux s’ouvre une carrière que le bas monde ne leur offre pas, et où leurs lacunes deviennent des forces.
Par contre, les esprits sincères et vrais, qui vont au solide, à l’effet plus qu’à l’opinion, se trouvent là dépaysés, et s’éloignent peu à peu d’un monde où ils n’ont que faire. Ainsi s’éliminent d’eux-mêmes les réfractaires, le “ poids mort ”, disent les philosophes, c’est-à-dire les gens d’œuvre, au profit des plus aptes, les gens de parole ; sélection mécanique, aussi fatale que le triage entre les corps lourds et légers sur une plaque vibrante : nul besoin de maître qui désigne, de dogme qui exclue ; la force des choses suffit ; d’eux-mêmes les plus légers prendront le haut, les plus lourds et chargés de réalité tomberont. C’est l’affaire de recette, non de choix.
**Réduction accrue du réel dans les esprits de ceux qui restent.
Et vous voyez les suites de cette épuration automatique : voilà nos gens isolés des profanes, à l’abri des objections et résistances réalistes, et en même temps rapprochés les uns des autres, et pour ces deux raisons, soumis à un entraînement d’autant plus intense que le milieu est plus “ pur ”.
Le « progrès des Lumières » ou la « régénération » de l’humanité à son insu.
**Le « progrès des Lumières » est un nouveau mode de penser.
Et cette double loi sociale de triage et d’entraînement ne cesse d’agir et de pousser la troupe raisonnante et inconsciente des frères en sens inverse de la vie réelle, vers l’avènement d’un certain type intellectuel et moral qu’aucun ne prévoit, que chacun réprouverait, et que tous préparent. C’est proprement ce qu’on appelle le “ progrès des Lumières ”.
**La société de pensée est unie pour (créer) la vérité et non par la vérité.
Vous voyez que notre hypothèse se soutient : les doctrines, les convictions personnelles ne sont rien ici, ou ne sont que des effets ; chaque étape du progrès philosophique produit les siennes, comme chaque zone ses plantes, aux pentes des montagnes. Le secret de l’union, la loi du progrès sont ailleurs, dans le fait d’association lui-même. Le corps, la société de pensée, prime, explique l’âme, les convictions communes. C’est bien ici l’Église qui précède et crée son évangile ; on est uni pour, non par la vérité. La “ régénération ”, le “ progrès des Lumières ”, est un phénomène social, non moral ni intellectuel.
**La régénération du sujet s’opère mécaniquement, à son insu, aussi louable soit sa motivation initiale de rentrer dans la société de pensée.
Son premier caractère est l’inconscience. La loi de triage que nous avons décrite n’a pas besoin pour jouer qu’on la connaisse, au contraire. Comme toute loi naturelle, elle suppose une force, mais aveugle, impulsive ; le sujet entre en loge, opine, discute, s’agite. Cela suffit : la société fera le reste, d’autant plus sûrement même qu’il y mettra plus de passion et moins de clairvoyance.
Le Travail (social) des Lumières et de la Franc-maçonnerie.
**Le Travail social est une fermentation de l’esprit, son asservissement à une mécanique dont il ignore l’existence.
Travail, soit ; mais c’est encore un de ces mots que nos maçons du dix-huitième siècle écrivent avec une majuscule et sans adjectif, et qui prend en effet dans leur cité, comme les mots philosophie, justice, vérité, et tant d’autres, un sens spécial, généralement inverse de l’acception courante.
Il faut entendre ce travail au sens passif, matériel, de fermentation, non au sens humain d’effort voulu. La pensée travaille, là, comme le moût dans la cuve, ou le bois devant le feu. C’est par l’action du milieu, de la situation, par son point de départ et non par son but, que se définit ce travail.
L’idée qui vient à l’esprit est celle d’orientation, qui s’oppose à l’idée de direction comme la loi subie à la loi reconnue, la servitude à l’obéissance. La société de pensée ignore sa loi, et c’est justement ce qui lui permet de se proclamer libre : elle est orientée à son insu, non dirigée de son aveu. Tel est le sens du nom que prend dès 1775 la plus accomplie des sociétés philosophiques, la capitale du monde des nuées : le Grand Orient.
**La fin du Travail social est de « libérer » l’esprit de l’emprise du réel.
Et le terme, je ne dis pas l’objet, de ce travail passif, est une destruction. Il consiste en somme à éliminer, à réduire. La pensée qui s’y soumet perd le souci d’abord, puis peu à peu le sens, la notion du réel ; et c’est justement à cette perte qu’elle doit d’être libre. Elle ne gagne en liberté, en ordre, en clarté, que ce qu’elle perd de son contenu réel, de sa prise sur l’être.
Elle n’est pas plus forte, elle porte moins : fait capital que cette orientation de la pensée vers le vide, et les frères ont raison de parler de régénération, d’ère nouvelle. La raison ne cherchait jusqu’alors la liberté que par delà un effort de conquête, une lutte avec le réel, tout un déploiement de sciences, et de systèmes.
Le travail social passe de l’attaque à la défense : pour affranchir la pensée, il l’isole du monde et de la vie, au lieu de les lui soumettre ; il élimine le réel dans l’esprit, au lieu de réduire l’inintelligible dans l’objet ; forme des philosophes, au lieu de produire des philosophies. C’est un exercice de pensée dont le but apparent est la recherche de la vérité, mais dont l’intérêt réel est la formation de l’adepte.
La créature de la société de pensée : le mythique « bon sauvage » ou le déraciné.
En quoi consiste au juste cette formation négative ? C’est aussi difficile à dire que de montrer ce que perd un être vivant à l’instant de la mort. La vie de l’esprit ne se définit pas plus que celle du corps ne se touche. Or, c’est d’elle-même et d’elle seule qu’il est ici question, non de tel organe ou faculté apparente. On peut supposer le sujet orienté aussi intelligent, l’organisme atteint aussi complet et parfait qu’on voudra : ils n’en ont pas moins perdu l’essentiel.
Rien n’illustre mieux ce curieux phénomène que la conception du sauvage ou de l’ingénu, qui tient une si grande place dans la littérature du dix-huitième siècle. Pas un auteur qui ne vous présente son sauvage, depuis les plus gais jusqu’aux plus graves. Montesquieu a commencé avec son prince persan, Voltaire immortalise le personnage avec Candide ; Buffon en fait l’analyse dans son éveil d’Adam ; Condillac, la psychologie dans le mythe de la statue ; Rousseau a créé le rôle, et passé sa vieillesse à jouer au sauvage dans des parcs de châteaux. Pas un apprenti philosophe, vers 1770, qui n’entreprenne la révision des lois et usages de son pays, avec son Chinois et son Iroquois de confiance, comme un fils de famille voyage avec son abbé.
Ce sauvage philosophique est une bien singulière personne : imaginez un Français du dix-huitième siècle qui posséderait, de la civilisation de son temps, tout l’acquit matériel : culture, éducation, connaissances et goût, sans aucun des ressorts vivants : instincts, croyances, qui ont créé tout cela, animé ces formes, donné leur raison à ces usages, leur emploi à ces moyens ; mettez-le brusquement en face de ce monde dont il possède tout, sauf l’essentiel, l’esprit : il verra et saura tout, mais ne comprendra rien. Voilà le Huron de Voltaire.
Les profanes crient à l’absurde : ils ont tort. Ce sauvage-là existe et même ils le rencontrent tous les jours. À vrai dire il ne vient pas des forêts de l’Ohio, mais de bien plus loin : la loge d’en face, le salon d’à côté ; c’est le philosophe lui-même, tel que l’a fait le travail : être paradoxal, orienté vers le vide, comme les autres cherchent le réel ― pensée sans élan, sans vraie curiosité, occupée d’ordonner plus que d’acquérir, de définir plus que d’inventer, toujours inquiète de réaliser son bien, son avoir intellectuel, toujours pressée, pour le monnayer en mots, d’en rompre les attaches avec la vie réelle, où il travaillait, s’accroissait jusque-là, comme un capital engagé, ou comme une plante vive, dans le tuf de l’expérience, sous le rayon de la foi.
De là le ton, d’abord, et l’esprit : la surprise ironique. Car rien n’est moins explicable que cette plante coupée, dont on veut ignorer la racine et la vie. “ Je ne comprends pas ” est le refrain de notre sauvage. Tout le choque, tout lui paraît illogique et ridicule. C’est même à cette incompréhension que se mesure l’intelligence, entre sauvages ; ils l’appellent esprit, courage, sincérité ; elle est le ressort et la raison d’être de leur érudition. Savoir est bien ; ne pas comprendre est mieux. C’est à cela que se juge le philosophe, ― les sauvages de nos jours, qui sont kantiens, disent “ l’esprit objectif ”, ― à cela qu’il se distingue du compilateur vulgaire : l’âme de l’Encyclopédie est là.
Son expansion par l’addiction à la liberté négative qu’elle génère.
Et vous voyez maintenant pourquoi son corps est si gros : il n’est pas de travail plus aisé, ni plus flatteur. Ce n’est pas que l’incompréhension philosophique soit un don vulgaire : elle suppose des aptitudes naturelles, surtout l’entraînement social de la cité des nuées. Lui seul peut venir à bout des préjugés, foi, loyalisme, etc., que la logique n’atteint guère, car leur racine est dans l’expérience et dans la vie.
Il faut opposer cité à cité, milieu à milieu, vie à vie, substituer à l’homme réel un homme nouveau : le philosophe ou le citoyen. C’est là une œuvre de régénération que l’individu ne saurait accomplir par ses propres forces, et que seule peut mener à bien la loi de sélection sociale : la société est au philosophe, ce que la grâce est au chrétien.
Mais enfin, quand le travail opère, quand le sujet s’est vraiment livré à l’orientation sociale, a pris sa demeure dans la cité des nuées, son centre sur le vide, et sent pousser ses plumes de philosophe, quelle ivresse de quitter la terre, de s’envoler par-dessus clôtures et remparts, par-dessus les flèches des cathédrales ! Rien ne lui est fermé, car tout est ouvert sur le ciel. Comme un enfant pille les fleurs d’un parterre, pour les piquer dans son tas de sable, il entre partout et fauche à brassée les usages, les croyances et les lois. Vous savez s’il se fit faute alors de cueillir au hasard tant de vieilles et augustes plantes, si le bouquet parut beau le premier soir, car elles ne meurent pas tout de suite, et ce qui resta le lendemain de cet immense amas d’écritures le poids du papier.
Mais si l’état de sauvage philosophe a ses douceurs, il a aussi ses charges, dont la plus lourde est la servitude sociale, l’adepte appartient corps et âme à la société qui l’a formé, et ne peut plus vivre dès qu’il en sort ; sa logique, si bien affranchie du réel, se brise au premier contact avec l’expérience, car elle ne doit sa liberté qu’à l’isolement où elle vit, au vide où la tient le travail. C’est une plante de serre chaude qu’on ne peut plus mettre au grand air. Les philosophes perdent toujours à être vus seuls, et de près, et à l’œuvre Voltaire l’apprit à ses dépens chez Frédéric, Diderot chez Catherine II, Mme Geoffrin chez Stanislas.
Citoyens ou patriote de la cité des mots par … égoïsme.
**Le médiocre manifeste un patriotisme enragé pour cette société qui lui permet de satisfaire son ego en brillant par les mots.
Heureusement ils ont l’instinct du danger, d’autant plus vif qu’ils sont plus entraînés, plus “aberrants vers le vide ”, comme disait le vieux Mirabeau de son fils ; et c’est de toute leur faiblesse, de tout leur néant, qu’ils tiennent à cette cité des mots, qui seule leur donne valeur et poids.
Esprit de parti, fanatisme de secte, dit-on toujours : c’est leur faire tort. L’esprit de parti est encore une manière de foi au programme, aux meneurs, et contredit d’autant le sens propre, l’instinct de défense individuelle. Chez le philosophe, ce sens, cet instinct demeurent seuls : il ne reconnaît ni dogme, ni maître. Mais la société n’y perd pas : comme le vieux hibou de la fable, qui coupe les pattes à ses souris, elle le tient par sa liberté même, cette liberté négative, qui l’empêcherait de vivre ailleurs : c’est une chaîne plus solide que tous les loyalismes.
C’est ce lien qu’on appelle le civisme, qu’on appelait le patriotisme en France, pendant les quelques années de la Révolution où la patrie réelle et la patrie sociale se trouvèrent avoir les mêmes frontières et les mêmes ennemis, alliance éphémère, vous le savez ; la seconde s’est étendue : depuis, elle est devenue l’internationalisme, et n’a pas gardé de gratitude à son hôte d’un moment.
Il n’est pas de lien plus puissant que celui-là : car il a le brillant de la vertu ; on sert la communauté, ― et la rusticité de l’égoïsme, ― on suit son intérêt immédiat. Et voilà encore une de ces situations de fait que crée le travail social et où la volonté du sujet n’est pour rien. C’est la société qui a orienté son esprit à l’inverse du réel, elle encore qui le lie à ses frères à l’inverse du réel, elle encore qui le lie à ses frères de toute la force de son intérêt comme elle a formé son intelligence, elle tient sa volonté.
**Point besoin d’autorité pour imposer quand on a le pouvoir des mots.
C’est un fait à noter, car il justifie le principe de la morale nouvelle : que l’intérêt suffit au bien, comme la raison au vrai. Il est exact, à la lettre, qu’il existe une cité où l’égoïsme attache aux autres, le bien particulier au bien général. Dès lors quel besoin de maîtres, d’autorité ? Quelle nécessité d’en imposer à des gens qu’il est si facile de convaincre ? D’exiger le sacrifice où l’intérêt mène si droit au but ? Et voilà réalisée la seconde des prétendues utopies philosophiques, celle de l’intérêt bien entendu. Voilà le secret de l’étrange fraternité qui unit ces épicuriens et ces sceptiques, Voltaire et d’Argental, d’Alembert et Diderot, Grimm et d’Holbach, ou plutôt qui les attache tous, par leurs lacunes mêmes, à la patrie intellectuelle.
La loi sociale des sociétés de pensée est immanente et remplace Dieu.
La traduction de ce fait se trouve dans le fameux mythe philosophique de l’origine des sociétés, expliquée par la faiblesse des hommes, et qui les rapproche pour leur défense commune. Rien de plus faux des sociétés réelles, nées de l’enthousiasme et de la force, Parmi les éclairs d’un Sinaï, dans le sang des martyrs et des héros. Mais rien de plus certain de la société intellectuelle, de plus conforme à la loi que nous avons décrite. C’est leur histoire que nous racontent les frères, comme le sauvage de tout à l’heure nous donnait leur portrait. Telle est la nature de la société nouvelle, que l’union s’y trouve fondée sur ce qui la détruirait ailleurs : les forces matérielles, le poids de l’égoïsme et de l’inertie.
C’est ce qu’expriment à merveille les symboles maçonniques : le temple de Salomon, l’architecture et le reste. La cité des nuées est un édifice et non un corps vivant, ses matériaux sont inertes, équilibrés, rassemblés, selon des règles certaines, des lois objectives. Le dix-huitième siècle admettait encore l’intervention d’un grand architecte, l’horloger de Voltaire, d’un législateur ordonnant d’après certaines lois les matériaux humains. La maçonnerie de nos jours supprime le personnage et fait bien : la loi sociale est une loi d’immanence, elle se suffit à elle-même et ce pastiche de Dieu n’a que faire ici.
Le « philosophisme » à la conquête du monde ou la tyrannie de l’opinion.
Je n’ai pas à vous dire comment cette puissante union se révéla au monde, comment la petite cité entra en lutte avec l’autre, car je sortirais de mon sujet : nous touchons ici à la seconde étape du progrès des Lumières, au moment où la philosophie devient une politique, la loge un club, le philosophe un citoyen.
Je ne vous parlerai que d’un de ses effets, celui qui déconcerte le plus quand on ne le connaît pas : la conquête de l’opinion profane par le philosophisme. Il possède pour cela mieux que les moyens ordinaires de propagande, arguments et prédicants : il est en mesure, grâce à l’union sans maîtres et sans dogmes des sociétés, de mettre en mouvement une fausse opinion, plus bruyante, plus unanime, plus universelle que la vraie ; dès lors plus vraie, conclut le public.
C’est par l’entraînement et l’ensemble de la claque, pas même, comme la démagogie, par le clinquant des décors et le jeu des acteurs, qu’il fait passer une mauvaise pièce. Cette claque, le personnel des sociétés, est si bien dressée qu’elle en devient sincère ; si bien disséminée dans la salle, qu’elle s’ignore elle-même et que chacun des spectateurs la prend pour le public. Elle imite l’ampleur et l’unité d’un grand mouvement d’opinion, sans perdre la cohésion et la conduite d’une cabale.
Or, il n’est pas d’argument ni de séduction qui agisse sur l’opinion comme ce fantôme d’elle-même. Chacun se soumet à ce qu’il croit approuvé de tous : l’opinion suit sa contrefaçon et de l’illusion naît la réalité. C’est ainsi que sans talent, sans risques, sans intrigues dangereuses et grossières, par la seule vertu de son union, la petite cité fait parler à son gré l’opinion de la grande, y décide des réputations et fait applaudir, s’ils sont à elle, d’ennuyeux auteurs et de méchants livres.
Elle ne s’en fit pas faute. On a peine à comprendre aujourd’hui comment la morale de Mably, la politique de Condorcet, l’histoire de Raynal, la philosophie d’Helvétius, ces déserts de prose insipide, purent supporter l’impression, trouver dix lecteurs : or, tout le monde les lut, ou du moins les acheta et en parla. Question de mode, assure-t-on ; c’est bientôt dit. Mais comment comprendre cet engouement pour le pathos et la lourdeur, dans le siècle de la grâce et du goût ?
Je crois que l’explication est ailleurs. Tous ces auteurs-là sont philosophes, et la philosophie règne sur l’opinion, par droit de conquête, l’opinion est sa chose, son esclave naturelle ; elle la fait gémir, applaudir ou se taire, selon ses vues. Voilà une source d’illusions que les historiens, pas plus que les contemporains, n’ont peut-être assez démêlée. Elle rend un peu sceptique sur bien des gloires philosophiques, même le génie de certains “ législateurs ”, même l’esprit de certains lettrés et même le renom des derniers salons.
Je vous ai parlé des encyclopédistes en mécréant, vous en serez moins surpris si je termine par un blasphème : il ne s’agit pas de l’échafaud de Louis XVI, de la France ruinée, de la foi détruite, vieilles et inoffensives rengaines. Mon audace est plus grande : j’ai été quelquefois jusqu’à me demander s’il y avait après tout tant d’écart entre l’esprit des derniers salons et l’emphase des premières loges, si dans le délicieux petit royaume du goût ne trônait pas déjà plus d’un cuistre républicain, et si, dès 1770, on n’avait pas parfois envie de bâiller même chez Mme Necker.
[1] L’auteur fait ici allusion à l’abbé Augustin Barruel, auteur des célèbres “ Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme ”, ouvrage en cinq volumes publié en exil à Hambourg en 1798 et qui décrit, documents à l’appui, les méthodes des Loges, et “ arrières-Loges ”, expression qui désigne celles d’entre elles où se réunissent les initiés de haut rang. Les sources de l’abbé Barruel provenaient en grande partie des documents ultra-secrets saisis par la police de Bavière après le foudroiement accidentel d’un prêtre apostat membre de la secte des “ Illuminés ” dont le maître était le Dr. Weishaupt.
Faoudel
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Augustin Cochin
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