Vive le Roy

Félicité de La MENNAIS, hérésiarque ou précurseur ? (1782-1854)

Du manque de formation à l’illusion libérale
lundi 29 septembre 2008 par Brekilien

Dans les milieux traditionalistes, Félicité de La Mennais est, en général, présenté comme un prêtre brillant, ultramontain et légitimiste, qui à partir de 1830, reniant ses convictions profondes, fait volte-face jusqu’à terminer sa vie en libéral et en apostat. En revanche, dans les milieux modernistes, il est plutôt considéré comme un précurseur dont les thèses ont été, peu ou prou, reprises et consacrées par Vatican II. Qu’en est-il exactement ?

Origines familiales

Félicité Robert de La Mennais est né en 1782 de Pierre-Louis Robert de La Mennais, armateur à Saint-Malo et anobli par Louis XVI en 1788 à la demande des États de Bretagne [1]. Sa mère, Gratienne Lorin, décède alors qu’il n’a que cinq ans.

Contrairement à une idée reçue, la famille La Mennais n’apparaît pas particulièrement attachée à l’Église et à la monarchie. Denys, l’oncle paternel qui, à partir de 1789, assure l’éducation du jeune Félicité, est un admirateur de Rousseau… Le précepteur auquel il confie son neveu est un prêtre jureur, l’abbé Carré… Félicité ne se décide à faire sa première communion qu’à 22 ans…

Une formation ecclésiastique plus que sommaire

Néanmoins, notre héros s’érige très vite en défenseur intransigeant de l’Église, publie quelques ouvrages au succès mitigé, et lui, qui n’a fréquenté ni collège ni séminaire, brûlant subitement les étapes, reçoit le sous-diaconat à Saint-Sulpice le 23 décembre 1815, le diaconat le 18 février 1816 à Saint-Brieuc et la prêtrise à Vannes le 9 mars de la même année.

Au terme de ce marathon, il confie curieusement : « Je suis et ne puis qu’être désormais extrêmement malheureux ! » [2]. Il ne recevra jamais aucune charge ecclésiastique…

En novembre 1817, il publie le premier tome de son Essai sur l’indifférence en matière de religion qui reçoit un franc succès malgré des affirmations à l’orthodoxie douteuse, telles que : « Le recours à l’histoire permet de découvrir dans la succession des civilisations l’action souterraine d’une révélation continue. » [3] ou le fait d’opposer le consentement universel à la raison individuelle.

Trois autres tomes suivent qui font de La Mennais un auteur à succès. Cependant, Mgr de Quelen, archevêque de Paris, Mgr Frayssinous, grand-maître de l’Université, un éminent jésuite, le père Rozaven, émettent de graves réserves.

En 1824, notre Félicité décide un voyage à Rome. Euphorisé par deux audiences pontificales, il se voit déjà cardinal ! Alors que Léon XII s’ouvre au cardinal Bernetti : « Oui, ce prêtre a une face de damné. Il y a de l’hérésiarque sur son front. » [4]

Dans sa propriété de la Chênaie en Bretagne, La Mennais règne sur de nombreux disciples. Il crée la congrégation de Saint-Pierre dans le but d’instaurer un nouvel ordre, rival des jésuites…

Conversion officielle au libéralisme

En 1828, il publie Des progrès de la Révolution et de la guerre contre l’Église dans lequel il affirme : «  Nous demandons la liberté de conscience, de la presse et de l’éducation. » [5].
Jugeant la monarchie dégénérée, il déserte alors définitivement sa cause. L’archevêque de Paris condamne l’ouvrage.

En 1830, La Mennais et ses disciples se joignent aux libéraux, aux romantiques, aux fouriéristes et aux saint-simoniens pour applaudir à la révolution.

Il crée un quotidien L’Avenir avec un comité de rédaction composé de :

 Philippe Gerbet de Poligny et Antoine de Salinis, qui repentis, seront plus tard respectivement évêques de Perpignan et d’Amiens et inspirateurs du… Syllabus !
 l’abbé Rohrbacher, auteur d’une Histoire de l’Église qui distillera le venin mennaisien dans les séminaires et les maisons religieuses jusqu’à nos jours,
 Charles de Coux,
 Prosper Guéranger, le futur abbé de Solesmes, ultérieurement mieux inspiré,
 Henri Lacordaire et Charles de Montalembert…

L’Avenir revendique :

1. La liberté de conscience ou liberté de religion qui a pour conséquence la totale séparation de l’Église et de l’État.

2. La liberté d’enseignement …

3. La liberté de la presse …

4. La liberté d’association …

5. Les libertés publiques (suffrage universel et libertés administratives). [6].

Désillusions, amertume et apostasie

La majorité des évêques, les jésuites et les sulpiciens interdisent la lecture du journal… De toutes les provinces de France parviennent de nombreux désabonnements [7]

Les rédacteurs décident de saborder le journal après seulement treize mois de parution… C’est alors que La Mennais, Lacordaire et Montalembert, persuadés de la rectitude de leur doctrine, décident de partir pour Rome afin d’enlever à leur « père le bâillon infâme dont des enfants indignes couvrent les lèvres sacrées » [8].

Le 13 mars 1832, après plusieurs mois d’attente, les trois « pèlerins de la liberté » sont reçus par Grégoire XVI qui… leur distribue des médailles et bénit leurs chapelets. Le 15 août 1832, c’est l’encyclique Mirari vos qui condamne sévèrement les thèses libérales de l’école mennaisienne.

Officiellement soumis, La Mennais ne reste, cependant, pas inactif. Le 30 avril 1834, il publie Paroles d’un croyant que l’encyclique Singulari nos condamne sans appel le 7 juillet de la même année.

Le cercle des disciples éclate peu à peu… Félicité de La Mennais s’enfonce dans la solitude que seule viendra adoucir la fréquentation de quelques fidèles : Chateaubriand, Sainte-Beuve, Georges Sand, Michelet ou Edgar Quinet…

Il décède le 27 février 1854, en totale rupture avec l’Église : « Mon corps sera porté directement au cimetière sans être présenté à une seule église. » [9].

Aperçu de la doctrine mennaisienne

Un tel parcours désorientant à première vue ne doit pas faire illusion. Tout le système mennaisien est, en fait, faussé à la base. L’Église dont La Mennais se fait le héraut n’est pas l’Église catholique.

L’auteur ne voit dans le Christianisme que l’héritier du Judaïsme, et dans celui-ci que l’héritier d’une certaine Église primitive formant ses archives de tout ce qui nous reste de traditions païennes de tous les âges et de toutes les zones [10].

Le pape que défend fougueusement La Mennais n’est pas le Chef de l’Église catholique mais l’organe infaillible de la raison générale, seul critère de vérité. Et, très logiquement, le roi dont il a, un moment, pris le parti n’est pas le roi Très Chrétien.

Le pouvoir absolu que l’écrivain accorde aux Papes sur les évêques comme sur les princes est une semence de trouble aussi bien dans l’Église que dans l’État.

Par la confusion établie entre les deux puissances, néanmoins très-réelles et très-divines, chacune à son degré et à sa manière, il devient impossible à l’homme de connaître son devoir et de le faire.

En accusant la Royauté et l’Épiscopat, pour élever au-dessus du Ciel la Papauté imaginée par lui, La Mennais, qui se porte le champion de l’autorité, sape cette même autorité dans toutes ses bases.

Il voulait que les princes et les peuples, les docteurs de la loi et les simples fidèles fussent comme un nid de petits oiseaux qui se serait trouvé sous sa main ; et pour faire respecter l’autorité pontificale, il conspue celle de l’âge, de la vertu, de l’expérience et de la tradition.

Tout tombe, tout croule, devant ce destructeur qui ne laisse subsister que le Pape, mais le Pape assis sur le sable mouvant de la prétendue raison générale [11].

 L’on comprend, alors, la haine qu’il manifeste très vite envers la monarchie capétienne : « Louis XIV ramena la société au point où elle était sous le paganisme. » [12].

 L’on comprend, alors, la haine qu’il n’a cessé de manifester envers l’Épiscopat français : « Nous avons un épiscopat généralement vertueux, mais idiot et ce qui n’est pas idiot est perverti. » [13].

 L’on comprend, alors, la haine qu’il ne tarde pas à manifester envers le pape qui le répudie : « Restait Rome ; j’y suis allé et j’ai vu là le plus infâme cloaque qui ait jamais souillé des regards humains. » [14].

Alors, La Mennais ? Hérésiarque ou précurseur ?

Pour les modernistes, certainement un précurseur ! Il « s’inscrit dans la liste des valeureux personnages, tels que Jean Hus, Savonarole et Martin Luther, à qui ses adversaires l’ont comparé, bien sûr pour le dénigrer, alors que de tels rapprochements ne peuvent que le grandir à nos yeux. » [15].

Pour les catholiques fidèles, un hérésiarque, bien sûr ! Toutefois, il faut être vigilant car, le poison distillé par La Mennais, dans les domaines spirituel et temporel, est toujours aussi séduisant malgré sa toxicité et son ingestion laisse immanquablement des séquelles. Ce fut le cas pour ses disciples :

(La Mennais) avait subrepticement glissé des doctrines si contradictoires et des principes si opposés, que l’effusion du repentir ne suffisait pas seule pour apaiser tant de tumultes intérieurs. Ses disciples de l’Église et du monde maudissaient avec des paroles brûlantes le fatal ascendant qu’il avait exercé sur leur vie ; ils n’en demeurèrent pas moins involontairement soumis à cette influence. On sentit qu’elle se propageait par eux et malgré eux [16].

Ce qui peut s’exprimer plus crûment : la Révolution passa son chemin « par eux et malgré eux »…

[1Source : Nobiliaire et Armorial de Bretagne par Pol Potier de Courcy.

[2Cité par Charles Chauvin in « Lamennais », Desclée de Brouwer, 1999, p. 31.

[3Faut-il voir ici les prémices d’un certain ésotérisme ?

[4Lettre du cardinal Bernetti au duc de Laval-Montmorency datée du 30 août 1824 et citée par Jacques Cretineau-Joly in « L’Église Romaine en face de la Révolution », Cercle de la Renaissance Française, 30 décembre 1976, t. II, p. 338.

[5Cité par Charles Chauvin, op. cit., p. 54.

[6Article de L’Avenir du 7 décembre 1830.

[7Le nombre d’abonnés n’a, toutefois, jamais dépassé la barre des trois mille.

[8Cité par Charles Chauvin, op. cit., p. 67.

[9Cité par Charles Chauvin, op. cit. p. 131.

[10Jacques Cretineau-Joly, op. cit., t. II, p. 329.

[11Ib., p. 337 et 338.

[12Cité par Jacques Cretineau-Joly, op. cit., t. II, p. 345.

[13Cité par Charles Chauvin, op. cit ., p. 55 et 56.

[14Lettre à la comtesse de Senfft datée du 20 octobre 1832 et citée par Charles Chauvin, op. cit. p. 85 et 86.

[15Charles Chauvin, op. cit., p. 8.

[16Jacques Cretineau-Joly, op. cit., p. 349.


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